Avec des amis, nous avons découvert ce week-end la ville de Reims, que nous ne connaissions pas. Un tourbillon d’images et de moments forts, lors de nos visites de l’exubérante Villa Demoiselle, de la touchante Chapelle Foujita, de la majestueuse Cathédrale de Reims, et des mystérieux Faux de Verzy.
Villa Demoiselle
La très belle Villa Demoiselle a été construite de 1904 à 1908 par l’architecte Louis Sorel en mêlant Art Nouveau et Art Déco. Abandonnée et squattée après 1970, elle a été restaurée à partir de 2004 par Paul-François Vranken. Son magnifique mobilier m’a fait rêver, aussi bien par la profusion de détails tirés de la nature qui parlent à mon âme de naturaliste, que par l’admirable travail des artisans-ébénistes qui ont fabriqué ces meubles.
La Grande Berce ou Berce Commune (Heracleum sphondylium) est à l’honneur sur un imposant ensemble constitué d’une cheminée et de meubles qui l’entouraient.
Une autre pièce me touche, un salon meublé d’une « table des herbes potagères » et d’un « dressoir d’automne », splendide meubles réalisé par Émile Gallé.
Gallé décrit ainsi le plateau de la table des herbes potagères
Écrits pour l’art: floriculture, art décoratif, notices d’exposition, 1884-1889, Émile Gallé
Le plateau est serti dans la pourpre noire du bois de Labaka, toute constellée et brochée, soierie végétale, des motifs principaux de l’œuvre. Ce sont des emblèmes émergeant de cette pénombre en alternances où le rythme floral défaille et sombre dans les omissions de la ligne et de la couleur : persil aux aigrettes de jais, aux feuilles d’un lilas livide, amplifiées jusqu’à d’inquiétantes silhouettes de cigües ; panicules de solanée se gracieusant en naturelles palmettes, mystérieuses calligraphies, racines celtiques, arabes ou latines des antiques noms de nos légumes, Bresic, Brassica, le chou ; Pori, manger, le poireau ; Kar, rouge, la carotte ; All, feu ; Allium, l’ail ; Kep, tête ; Allium Cepa, l’inflorescence entête globuleuse de l’oignon ; Masi Tortium, le cresson ; Kapar de l’arabe, Capparis le caprier et la racine jolie du nom latin de la pomme de terre : Solari, soulager. »
Je m’approche de la table, pour lire cette belle devise inscrite en marquetterie sous une touffe de fraisiers penchés vers un ruisseau :
« Nos racines sont au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources ».
Il s’agit de la devise qu’Émile Gallé avait inscrite sur son atelier de Nancy. Curieusement, je ne retrouve aucun des éléments mentionnés par Gallé. Je distingue quelques autres mots en marquetterie : Morella à côté d’un petit groupe de champignons en bas à gauche, Angelica devant une belle panicule d’Angelique, et, tout à droite, Vanilla Aromatica enserré par la liane de la Vanille.
Chapelle Foujita
Notre seconde visite nous a conduit dans la modeste chapelle Foujita, réalisée en 1966 par le peintre d’origine japonaise Foujita, dont nous avions visité en 2010 la maison de Villiers-le-Bâcle, tout près de chez nous. Foujita s’est convertit au catholicisme le 14 octobre 1959, après avoir connu une illumination mystique en visitant la basilique Saint-Rémi, à Reims. Quelques années plus tard, à l’âge de 80 ans, il réalisera les fresques et dessinera les vitraux de cette petite chapelle, dont on peu trouver toutes les photos dans le site du musée de Reims.
J’imagine le peintre, peignant en quelques jours, avec la rapidité requise par l’art de la fresque, cette profusion de personnages. Dans quel état d’espri était-il? Serein? Mystique?
Je contemple le bel ensemble de vitraux bibliques, touché en particulier par le Déluge, qui me fait penser à la montée des eaux attendue en raison du changement climatique.
Juste à côté, se trouve, comme en écho, une représentation des sept péchés capitaux, autant de faiblesses humaines à la source des dérèglements environnementaux et sociétaux que nous connaissons. Je passe un petit moment devant cette freque au grotesque presque incongru dans une église. Le Christ, serein et presque hiératique, est enserré par un tourbillon de figures tentatrices. J’essaie de reconnaître les sept péchés : en bas l’avarice à gauche et la gourmandise à droite, la colère juste au dessous de la luxure incarnée par un corps de femme alanguie, de l’envie, de la paresse, de l’orgueil (l’homme et la femme en haut, de part et d’autre de la tête du Christ?).
Cathédrale de Reims
L’extérieur de la catédrale est particulièrement riche en statues. Mais c’est l’ensemble de vitraux créés par le peintre Marc Chagall qui me touche particulièrement. Les jeux de lumière, comme diffractés par les vitraux, donnent l’impression que la scène est à la fois aérienne et aquatiques. Les tons verts de la vierge à l’enfant évoquent la nature nourricière et les taches de rouge le feu. Je reste de longs moments à admirer cette explosion de couleurs dans une magnifique dominante bleue.
Faux de Verzy
Un dernier moment d’émotion avec ces majestueux et mystérieux arbres tortueux, formes mutées des Hêtres communs (Fagus sylvatica). La population des Faux de Verzy est la plus importante d’Europe, et offre une très grande diversité de formes (dômes parfaits, formes tortueuses, nappes couvrant le sol). L‘histoire de cette population et de l’origine de leur génétique, me passionne. Je découvre aussi que le mot Faux ne designe pas la difformité de ces arbres mais provient de l’ancien français faux, nom provenant du mot latin Fagus désignant le hêtre. Mais plus encore, je suis touché par la grâce de ces formes végétales naturelle, et par l’attention que les hommes y ont apportée depuis plusieurs centaines d’années.
Quel plaisir aussi de trouver les légendes qui s’y rapportent
Ce sont des fous, des lutins diaboliques, nés de l’union pécheresse d’un moine et d’un démon femelle, abandonnés à la forêt. La nuit, ils guettent le voyageur égaré et malheur à lui…
La malédiction des faux de Verzy, près de Reims
Car sur la colline de Reims vivait un riche commerçant, peu attentif aux autres, en particulier à ses animaux. Découvrant un nain un soir dans l’écurie, il voulu le frapper de son fouet. Mal lui en pris. Le lendemain, le commerçant avait disparu mais un nouvel âne était attaché près de la mangeoire. Mis à la tâche, il pleurait chaque fois que ses pas lui faisait traverser la forêt pour chercher du bois. De chaque larme naissait un petit arbre biscornu, un nouveau fau.
La malédiction des faux de Verzy, près de Reims
Un menuisier tordu, bossu et rachitique s’éprit en secret de la plus belle villageoise de sa contrée. Impossible cependant pour le difforme de se déclarer à elle dans son état. On peut le comprendre.
Mais prêt à tout pour séduire, notre amoureux décide alors de recourir aux services d’une sorcière locale qui, au prix fort, lui promet un élixir censé le rendre droit comme un i. Après avoir fait macérer dans son chaudron toute une panoplie d’ingrédients plus suspects les uns que les autres, elle tend à son client un bol rempli d’une espèce de soupe saumâtre et écœurante que le menuisier s’empresse pourtant d’ingurgiter. Et ça marche ! Sous l’effet de la potion, l’homme se métamorphose rapidement en un jeune apollon athlétique et séduisant qui ne tarde pas à faire tomber la belle convoitée sous son charme. La suite vous la connaissez : ils se marièrent et eurent beaucoup, beaucoup d’enfants.
Fin de l’histoire ? Hélas non. Car tous leurs bambins ayant hérité des tares paternelles, ils se révélèrent les uns après les autres aussi cagneux et biscornus que l’avait été leur géniteur. Que faire ? La sorcière ayant disparu entretemps, il était impossible aux jeunes parents de réparer à nouveau cette malédiction. Le couple désemparé dut alors se résoudre, comme cela se faisait beaucoup à l’époque, à perdre un par un sa progéniture dans la forêt.Abandonné à eux-mêmes, incapables d’avancer, épuisés, affamés, les rejetons s’enfouirent peu à peu dans le sol et s’immobilisèrent pour devenir ces arbres nains dont les membres torturés s’entremêlent et se multiplient au gré du temps.
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