Les champignons sont pour moi, depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, un objet de fascination. C’est je crois une transmission qui vient de mon père, un mycologue amateur très averti qui ne dédaignait pas non plus manger une bonne omelette aux cèpes. En remontant encore plus le temps, j’ai souvenir d’une mémorable cueillette avec mon grand-père maternel : dans un bois tout près de chez lui, morilles avaient poussé en très grand nombre.
Dans notre Lorraine natale nous allions en famille, chaque automne, récolter les grands classiques (girolles, pieds de mouton, trompettes de la mort, cèpes), mais aussi d’autres champignons moins connus, mais néanmoins parfaitement et excellents comestibles (amanites rosissantes, laccaires améthistes, « petits gris », …). Papa nous enseignait, au passage, les noms et caractéristiques de bien d’autres espèces, non comestibles ou médiocres comestibles, et, bien entendu, celles des champignons dangereux ou mortels. De retour à la maison, nous ouvrions religieusement LA BIBLE, qui était alors le Romagnési et rêvions de croiser – un jour – quelque champignon plus rare, qui prenait presque pour nous un statut mythique. Plus de 40 ans plus tard, le monde des champignon reste tout aussi fascinant pour moi. Alors chaque année, je passe un peu de temps à chercher, photographier, et parfois déguster des champignons sauvages.
Un règne fascinant
Bien que beaucoup moins étudié que la faune, la flore, et même les bactéries ou virus, le règne des champigons (fungi) est essentiel, dans l’écosystème Terre. Les biologistes estiment que le nombre d’espèces de champignons est de plusieurs millions, 6 et 10 fois plus important que le nombre d’espèces de plantes [1]The Fungi: 1, 2, 3 … 5.1 million species? Meredith Blackwell, Amercian Journal of Botany, 2011. La biomasse des champignons est importante (le 3ème règne après celle des plantes et des bactéries) mais constitue seulement 2% de la biomasse totale du vivant sur terre[2]Répartition de la biomasse sur la planète, Encyclopédie du vivant, 2024[3]The biomass distribution on Earth, Yinon M. Bar-On , Rob Phillips, and Ron Milo, 2018.
Le plus grand organisme vivant sur terre serait un champignon : découvert en 1998, ce Armillaria ostoyae[4]Armillaria ostoyae, MycodB de nombreux prélèvements ADN on montré qu’il s’agit d’un individu unique, s’étendant sur plus de 9,6km2 et pesant entre 8000 et 30 000 tonne. Il serait âgé de plusieurs milliers d’années[5] the World’s Largest Living Organism — The Humongous Fungus, Craig L. Schmitt, Michael L. Tatum, 2008.
Moins connu est le fait que les champignons ont colonisé des niches écologiques extrêmement diversifiées. On les trouve dans les sols, les milieux d’eau douce, les milieux marins y compris les grands fonds (on trouve des champignons dans le écosystèmes autour des sources hydrothermales[6]Diversité et fonctions écologiques des champignons en écosystème hydrothermal marin profond, thèse Le Calvez 2009), et avec un des « mode de vie » extrêmement variés.
Avant de rentrer dans les caractéristiques uniques de de règne, rappelons que le « Champignon » que nous voyons pousser dans les bois n’est qu’une « fructification » temporaire, destinée à porter et disséminer les spores. Leur nom scientifique et le Sporophore. Le véritable champignon se trouve dans le sol, sous forme de filaments de mycélium.
Des explorateurs
Les champignons ont une extraordinaire capacité d’exploration de leur environnement grâce aux hyphes (filaments constituant leur mycélium).
Saprophytes
Rouage indispensables du cycle du carbone, les champignons jouent un rôle clé dans le recyclage de la matière organique issue des végétaux et la création de l’humus, en dégradant la cellulose et la lignine grâce aux enzymes hydrolytiques qu’ils produisent. Ils participent aussi au cycle de l’azote en dégradant l’humus et sont les principaux recycleurs de matière organique
Symbiotiques
Les symbioses champignons-plantes (symbioses mycorhiziennes) sont omniprésentes : environ 90 % des végétaux établissant ces associations. Les champignons contribuent alors à la nutrition minérale des plantes, renforcent leur défense et produisent des substances antibiotiques. En échange, ils reçoivent les produits de la photosynthèse des plantes.
L’association symbiotique entre arbres et champignons (mycorhization) est cruciale pour l’établissement et à la productivité des l’écosystèmes forestiers[7]Comment les champignons façonnent l’avenir des forêts?, INRAE,[8]Stable functional structure despite high taxonomic variability across fungal communities in soils of old-growth montane forests, Francis M. Martin, Qingchao Zeng, Annie Lebreton, Lucas Auer, Xiaowu … ...Lire la suite. Elle est de mieux en mieux connue.
La “mycotrophie” touche quasiment tous les végétaux et certains chercheurs pensent que ce sont eux qui ont rendu possible la colonisation des terres émergées à l’échelle des temps géologiques[9]Des Mycorhizes à l’origine de la flore terrestre, Le Tacon et Selosse, 1997
Les lichens constituent une autre forme importante de symbiose, associant champignons et cyanobactéries, où les algues fournissent des composés carbonés et les champignons des nutriments minéraux.
Mycohétérotrophes
Un cas particulier de « l’arroseur arrosé », est celui de la mycohétérotrophie : une plante se mycohétérotrophe se nourrit grâce à une connexion à l’association mycorhizienne entre les arbres et les champignons alentour et exploiter le carbone du champignon sans réciprocité. Cette stratégie permet aux plante de pousser dans des biotopes extrêmement peu lumineux. De très nombres orchidées et les plus rares Monotropes ont ce type d’alimentation. Il n’y a que deux espèces de Montropes : Monotrope sucepin qu’on trouve en europe (en France dans les Alpes), et le Monotrope uniflore présent en Amérique du Nord, Je connaissais l’existence des monotropes, mais n’en n’avait jamais rencontré dans la nature ; j’ai eu la joie d’en voir un en 2007, lors d’un voyage au Canada.
Parasites
Environ 20 % des champignons connus sont parasites, attaquant une grande variété d’organismes : plantes, animaux, insectes, bactéries et d’autres champignons. Les humains connaissent donc les mycoses, les jardiniers et paysons le mildiou et bien d’autres affections fongiques. Dans le monde, malgré l’utilisation généralisée – et souvent massives – d’antifongiques, les producteurs perdent chaque année entre 10 et 23% de leurs récoltes à cause d’une infection fongique, auquel s’ajoutent 10 à 20 % de pertes post-récolte[10]Des pertes massives de récoltes dues à des infections fongiques, Rural21, 2023. Après une année 2023 peu problématique, les tomates de mon potager ont d’ailleurs énormément souffert du mildiou en 2024.
Plus spectaculaire encore certains insectes sont littéralement dévorés vivant par des champignons entomophages.
Ingrédient fondamental de l’alimentation et la santé humaine
On mesure mal à quel point l’alimentation humaine a été façonnée par les champignons. Les champignons comestibles sont d’excellent d’un point de vue nutritionnel : pauvres en sodium, en cholestérol et en gras saturés, ils contiennent plus de protéines que les légumes et renferment toute une variété de vitamines et de minéraux; en plus d’être riches en vitamines B, ils constituent la seule source de vitamine D non enrichie disponible pour les végétaliens. La part des champignons –en volume– dans l’alimentation humaine reste toutefois relativement faible.
Mais les champignons sont toutefois d’extraordinaires « fournisseurs de saveurs », largement utilisés en gastronomie. Leur concentratrion en glutamates naturels des champignons en font une des source du fameux goût Umami, si prisé des japonais.
Mais, encore plus significatif est l’apport des levures (des champignons uni-cellaires) pour façonner la base de notre alimentation : elles sont au coeur de toutes les fermentations, pain, bière, légumes fermentés, fromages fermentés, pâte de soja fermenté.
Mentionnons enfin les premiers antibiotiques, découverts en 1928 par Alexander Fleming qui remarqua que des cultures bactériennes avaient été bloquées des champignons Penicillium notatu cultivés par son voisin de paillasse.
Qu’il faut étudier et protéger – les 3 F
Pendant longtemps, le vivant a été présenté à travers sa faune et sa flore. Les dispositifs de protection de l’environnemet sont toujours axés et détaillé en direction de la protection de Faune&Flore. C’est le cas par exemple du Cadre mondial pour la biodiversité (CMB) adopté lors de la 15e réunion de la Conférence des Parties (COP15) des nations unies, qui ne parle pas des champignons. Fin 2024, lors de la COP16, des scientifiques ont tenté d’étendre le cadre, en présentant une passionnante Contribution of Fungi to the global Biodiversity Framework. L’idée est d’étendre toutes les démarches de protection de l’environnement pour passer des 2F (Fauna&Flora) aux 3F (Fauna, Flora, Fungi).
Malheureusement, cette extension ne semble pas avoir été acceptée lors de la COP16. Il est possible aussi de signer une pétition pour soutenir cette démarche, via le site FaunaFloraFungi.org.
Mes belles rencontres en 2024
Je profite de ce billet mycologique pour présenter quelques-une de mes trouvailles de 2024, que vous pourrez touver dans mon album photo de champignons.
Pour commencer l’année, j’ai croisé pour la première fois de ma vie le spectaculaire clathre rouge, aussi appelé clathre grillagé ou cœur de sorcière. Il poussait dans le le paillage de BRF d’une platebande de Plouharnel.
Une belle pousse de langue de bœuf, champignon au goût vinaigré que l’on peut déguster cru ou cuit.
Dans la forêt de Rambouillet, de beaux polypores versicolores, un magnifique groupe de vénéneuses Amanites panthère, qu’il ne faut pas confondre avec la délicieuse Amanite rosissante, ainsi qu’un saprophyte tout mignon au nom inconnu de moi.
Dans les dunes grise d’Erdeven, nous avons identifié l’Hygrocybe aurantiolutescens, un magnifique champignon jaune orangé, localement assez abondant.
Une belle suprise dans mon jardin, dans les paillis de bois déchiquetté : une pousse de magnifiques Volvaires gluantes – Volvariella gloïocephala/speciosa
En ce qui concerne les champignons comestibles, nous avons fait en Bretagne plusieurs très belles récoltes de girolles et de pieds de moutons et, jusqu’à décembre, de chanterelles.
La dernière récolte de chanterelles de l’année, effectuée fin décembre pour réaliser une terrine de champignons sauvages qui a figuré à notre menu de Noël. J’ai d’ailleurs toujours un stock de chanterelles qu je sèche, entières ou réduites en poudre, pour agrémenter soupes et omelettes tout au long de l’année.
References