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Le secrétaire de l’évêque de Gap

Curieux mystère familial que ce meuble secrétaire en bois précieux, dans l’entrée, que ma belle-mère a toujours appelé « le secrétaire de l’évêque de Gap». Elle le tient de ses parents, mais ne pouvait m’en dire plus sur ses origines réelles. Source de bien des discussions familiales, nous nous demandions comment un meuble épiscopal avait pu être transmis dans la famille. Quelques recherches et un peu de chance m’ont récemment permis de lever le mystère.

Voilà donc la très belle et très véridique histoire de ce meuble.

Or donc, le point de départ de cette histoire est Jean-Irénée Depéry (1844-1861), évêque de Gap entre 1844 et 1761. Je découvre dans l’Annuaire administratif et commercial des Hautes-Alpes de1853 [1]Annuaire administratif et commercial du département des Hautes-Alpes, 1853 qu’il avait un secrétaire, chanoine, nommé François Lépine (1815-1899).

Jean-Irénée Depéry, lithographie de Zéphirin Belliard, 1853[2], d'après le tableau d'Amanda Fougère présenté au Salon la même année[3].
Jean Irénée Depery en 1855, lors du couronnement solennel de la statue de N.D. du Laus

François Lépine avait été nommé en 1847, à l’âge de 32 ans, secrétaire de l’évêché de Gap et chanoine au chapitre de Gap [2]Culte catholique : dossiers individuels des chanoines (1830-1905), Source Archives Nationales, Cotes : F/19/2830. Un chapitre de chanoine est un collège de clercs appelés chanoines, attachés à une église cathédrale. Sa mission est d’une part d’assurer collectivement le chant des offices et d’être le conseil de l’évêque, d’autre part d’accomplir individuellement une fonction attachée à leur canonicat comme la liturgie, les écoles, la construction ou l’entretien des bâtiments, le secours des pauvres, l’administration des biens de la paroisse…

En 1853, en plus de ses charges de secrétaire de l’évéché, François Lépine est vicaire général, assesseur de l’officialité diocésaine, conseil de la Fabrique de la Cathédrale et supérieur de la maitrise. Il tient aussi le Bureau d’administration des deux séminaires et fait partie du Comité Diocésain pour la Propagation de la Foi. Son costume d’officiant est probablement proche de celui de ce chanoine d’Aix-en-Provence, qui lui est quasiment contemporain.

Chanoine de la cathédrale d’Aix-en-Provence portant la mozette et la croix pectorale octroyées par Pie IX en 1855. vers 1880. Coll. part. © G. Favier [3]Le Costume des chanoines dans l’Europe catholique, Permanences et particularismes nationaux, Bernard Berthod, Musée d’art sacré de Fourvière

Il travaillait et, peut-être, habitait à l’hôtel de l’évéché, aujourd’hui disparu, qui se situait à l’emplacement de l’actuel Conseil Départemental.

Plan du centre de Gap en 1899, source Gallica
Entrée des Jardins de l’Évéché de Gap

On retrouve mention de notre chanoine Lépine en 1881, date à laquelle il officie à l’église Saint-Pierre-de-Chaillot pour le mariage de Pauline Delagneau, fille de Charles Delagneau qui avait été préfet à Gap en 1873-1874.

Nombreuse et brillante assistance hier, samedi, à l’église Saint-Pierre-de-Chaillot, pour le mariage de M. Miguel-José- Raio de San-Lazaro, avec Mlle Pauline Delagneau, fille de l’ancien préfet, et parente, par sa mère, des familles Lambert de Sainte-Croix, Casimir Delavigne et de l’amiral Touchard.
Les témoins du marié qui appartient à la meilleure noblesse du Portugal et qui est sorti, comme ingénieur civil, de notre école nationale des ponts et chaussées, étaient S. E. M. Mendez Leal, ministre de Portugal à Paris, et M. le vicomte d’Asseca, pair du royaume de Portugal.
Les témoins de la mariée étaient son oncle M. Paul Roudier et son cousin M. le président Ernest Gauthier. La bénédiction nuptiale a été donnée aux jeune époux par M. l’abbé Lépine, chanoine du chapitre de Gap, qui a parlé, en termes émus, des excellents souvenirs laissés dans le département des Hautes-Alpes, par la famille et l’administration de M. Delagneau.

Le Figaro, 7 août 1881 [4]Le Figaro, 7 août 1881, Source Gallica.

En 1887, le Chanoine Lépine accueille Mgr Blanchet, le nouvel évêque de Gap, lui faisant un éloge appuyé.

Mgr Blanchet a pris possession de son siège de Gap jeudi dernier. Les Annales des Hautes-Alpes donnent de celte cérémonie un intéressant récit, auquel nous empruntons les détails suivants : Un long cortège, composé du chapitre, du clergé de la ville et de nombreux ecclésiastiques du diocèse s’est rendu processionnellement du grand séminaire à l’évêché. Monseigneur a été conduit sous un dais à la cathédrale, au chant du Veni Creator. M. le chanoine Lépine, vice-doyen du chapitre, a complimenté Monseigneur. Faisant allusion à la rapide succession des évêques qui a si cruellemenl éprouvé l’Église de Gap, le vénérable chanoine a exprimé la confiance que la fortune spirituelle du diocèse resterait longtemps entre les mains si dignes et si sûres auxquelles le Pape Léon XlIl vient de la confier. Puis, M. le chanoine Lépine, rappelant que Mgr Blanchet est le cinquième évêque reçu dans une étroite et pauvre chapelle, exprime, de concert avec la municipalité et la population entière de la ville, le vœu que l’influence de Mgr Blanchet s’emploie près des pouvoirs publics pour hâter l’achèvement de la cathédrale de Gap.

Avec beaucoup de bonne grâce et d’à-propos, Mgr Blanchet a répondu à cette allocution et on a remarqué avec quelle spontanéité il a prononcé ces paroles : « Oui, monsieur le chanoine. je suis à vous entièrement et pour toujours !

Journal des villes et des campagnes, 15 septembre 1887 [5]Journal des villes et des campagnes, 15 septembre 1887, Retronews.
Ancienne cathédrale de Gap, démolie en 1866.
Ancienne cathédrale de Gap, démolie en 1866 (Source Wikipedia)

Lancée à l’initiative Mgr Bernadou, évêque de Gap entre1862 et 1867, l’édification de la cathédrale avait en effet débuté en 1866 en remplacement d’une ancienne cathédrale médiévale qui tombait en ruine. François Lépine, arrivé à Gap en 1845, a donc connu la démolition de l’ancienne église, sa longue période de construction, et a pu assister à sa consécration, le 21 septembre 1895[6]Nouvelle Cathédrale de Gap, consécration et inauguration, par l’évêque Mgr Berthet. Sa construction ne sera complètement terminée qu’en 1904.

La nef de la cathédrale de Gap en construction, 1885 (Source Wikipedia)
apostolique protonotaire
Armoiries de protonotaire apostolique.

En 1897, à 82 ans, François Lépine est doyen du chapitre de Gap et devient même doyen des doyens de tous les chapitres de France. À la demande de Mgr Berthet, le pape Léon XIII confère à M. le chanoine Lépine le titre de protonotaire apostolique ad instar. Cette nomination advient dans la 50ème année de sa nomination comme chanoine du diocèse[7]La Croix de l’Aube du 5 décembre 1897. Protonotaire apostolique Ad instar indique qu’il ne fait pas partie du collège des 7 protonotaires participants (protonotarii apostolici de numéro participantes) à Rome, mais bénéficie d’une dignité honorifique accordée par le pape (protonotarii apostolici ad instar participantium). Les droits et privilèges des protonotaires ad instar, par exemple le droit au titre de Monseigneur, avaient été codifiés quelques années plus tôt par le pape Pie IX, dans la constitution A postalicte Sedis (29 août 1872)[8]Le Courrier du Canada, 8 septembre 1879.

Mgr François Lépine, protonotaire apostolique, doyen du Chapitre, Supérieur de la Congrégation des Daines de Saint-Joseph, s’éteint à Gap le 29 août 1899, dans sa 85ème année. Entre 1845, date de sa nomination comme secrétaire de l’évéché de Gap, et son décès, il a donc vu s’édifier une cathédrale et connu neuf évêques : Louis Rossat (1841-1844), Jean-Irénée Depéry (1844-1861), Victor-Félix Bernadou (1862-1867), Aimé-Victor-François Guilbert (1867-1879), Marie-Ludovic Roche (1879-1880), Jean-Baptiste Jacquenet (1881-1884), Louis Gouzot (1884-1887), Jean-Alphonse Blanchet (1887-1888), Prosper Amable Berthet (1889-1914).

Alors, quel est le lien avec notre famille? Le Chanoine François Lépine était l’oncle et le parrain de François Tissot (1848-1901/), époux de Joséphine Lépine (1816-1887), qui est lui-même arrière-arrière-grand-père de mon épouse.

Le fameux meuble n’est donc pas le secrétaire de l’évêque de Gap, mais le secrétaire du secrétaire de l’évêque de Gap! On peut imaginer que le meuble a été légué après sa mort à son neveu François Tissot, et qu’il a ensuite été transmis de génération en génération.

References

References
1 Annuaire administratif et commercial du département des Hautes-Alpes, 1853
2 Culte catholique : dossiers individuels des chanoines (1830-1905), Source Archives Nationales, Cotes : F/19/2830
3 Le Costume des chanoines dans l’Europe catholique, Permanences et particularismes nationaux, Bernard Berthod, Musée d’art sacré de Fourvière
4 Le Figaro, 7 août 1881, Source Gallica
5 Journal des villes et des campagnes, 15 septembre 1887, Retronews
6 Nouvelle Cathédrale de Gap, consécration et inauguration
7 La Croix de l’Aube du 5 décembre 1897
8 Le Courrier du Canada, 8 septembre 1879

1 commentaire pour “Le secrétaire de l’évêque de Gap”

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