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Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan

Occasion unique aujourd’hui de visiter la très belle exposition Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan, au musée du Louvre, à l’invitation des deux commissaire Yannick Lintz et Rocco Rante. Quelques jours avant, nous avions regardé avec mon épouse sur Arte, le très évocateur documentaire Sur les routes éternelles de Samarkand[1]Sur les routes éternelles de Samarkand, ArteTV (voir lien)

Le RER fait des siennes, et je me vois déjà arriver en retard… je décide donc de descendre à Saint-Michel et de terminer en courant mont trajet jusqu’au musée du Louvre. La traversée de la Seine sur le pont au Change m’offre une magnifique lumière sur le palais de la cité et le pont Neuf.

La Seine en toute sa splendeur vue du pont au Change (photo Nicolas Demassieux)

La visite de l’exposition est passionnante, et je découvre pour la première fois la réalité historique qui se cache derrière les citées mythiques de Samarcande, Boukhara,… qui jalonnent la route de la soie.

La présentation de l’exposition par les commissaires a lieu devant le mur sud de Fresque des Ambassadeurs, 7e – 8e siècle ap. JC. Cette fresque particulièrement fragile a été l’objet d’intenses négociation pour qu’elle soit autorisée à voyager pour l’exposition. Elle décorait à l’origine la salle de réception d’une résidence située à quelques centaines de mètres à l’ouest du musée d’Afrasiab. Elles ont été découvertes par hasard en 1965, lors des travaux de creusement de la nouvelle route de Tachkent. Le bulldozer a malheureusement détruit en grande partie ce qui subsistait de la partie supérieure des peintures. Le reste a pu être sauvé et progressivement transféré dans le musée spécialement construit, où l’ensemble est exposé au
public depuis 1985. La fouille a révélé qu’il s’agissait d’une grande demeure aristocratique plutôt que du palais royal lui-même.

Fresque des Ambassadeurs, 7e – 8e siècle, Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Le mur sud (à gauche en entrant), celui qui a le mieux conservé la vivacité de ses couleurs, a posé bien des problèmes d’interprétation. On a d’abord voulu y reconnaître l’entrée solennelle dans Samarkand de l’une des ambassades étrangères, d’où le nom de la fresque. Le professeur Boris Marshak (Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg) a récemment proposé une interprétation beaucoup plus convaincante. Il a attiré l’attention sur le fait que le mouvement de la procession ne converge pas vers la scène de réception du mur de fond, mais au contraire s’en éloigne, et, plus précisément, s’en éloigne en direction de l’est. Le but final du cortège, tout à gauche, n’est pas une ville mais un édifice isolé, symbolisé par un simple cadre juché sur une plateforme inclinée et devant lequel se tiennent plusieurs personnages. Or, nous savons par les chroniques chinoises que chaque année au Nouvel An zoroastrien, alors célébré en été, certains souverains sogdiens conduisaient une procession au mausolée de leurs parents, situé à l’est de la capitale (l’est et le sud sont chez les zoroastriens les directions du Paradis), au terme de laquelle on célébrait un sacrifice animal.

La partie centrale de la composition corrobore cette interprétation. On voit en effet deux personnages affublés d’un couvre-bouche que portent aujourd’hui encore les prêtres zoroastriens pour ne pas polluer de leur souffle le feu sacré. Ici, il ne s’agit pas de prêtres (ils portent le costume laïc et l’épée), mais de nobles qui ont reçu l’honneur de conduire les animaux au sacrifice. L’un d’eux est un cheval gris foncé, sellé et pourvu d’étriers mais non monté; les autres forment un groupe de quatre oies, identifiées comme telles par une inscription. Divers documents montrent que le cheval sellé était utilisé dans les sacrifices funéraires et que sans doute il était plus précifiquement destiné à Mithra, dieu solaire et juge des morts. Quant aux quatre oies, elles pourraient avoir été destinées à Zurvan que les Sogdiens identifiaient au dieu indien Brahma, comme lui dieu du Temps éternel, comme lui doté de quatre aspects, et dont le symbole était l’oie sauvage. Devant les victimes du sacrifice s’avancent deux personnages montés sur des chameaux et tenant des massues de bois, que l’on peut interpréter comme des objets du culte (dans le zoroastrisme l’animal sacrifié est obligatoirement frappé sur le cou avec un bâton avant d’être égorgé, pour atténuer sa souffance). Presque à l’arrière du cortège avance sur un cheval jaune un personnage gigantesque, vêtu d’un caftan rouge à médaillons perlés, et au carquois couvert d’une peau de léopard: c’est certainement Varkhuman, le commanditaire de la fesque, qui a régné dans le troisième quart du VIIe siècle ap. J.-C. Un éléphant blanc porte un palanquin dont l’hôte de marque, aujourd’hui disparu, devait être l’épouse de Varkhuman. Elle était suivie par trois jeunes femmes montées en amazones, dont la seule bien conservée porte sur le poignet une inscription l’identifiant comme une “épouse de rang libre”.

Présentation de la “Peinture aux Ambassadeurs” guide du musée d’Afrasiab

Fresque de Varaksha, Début 8ème siècle, Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Un peu plus loin, je suis émerveillé par l’extraordinaire travail de restauration d’une porte sculptée vers l’an 550, et retrouvée il y a cinq ans à Samarcande, lors de la fouille d’une résidence de souverains nomades iraniens, les archéologues découvrent cette porte de bois calcinée, résultat de l’incendie de Samarcande lors de la conquête musulmane au VIIIe siècle. La porte en bois d’orme a continué à se consumer sous terre, ce qui a permis aux minéraux résultants de la combustion de rester en place. Pour restaurer cette pièce exceptionnelle, dont l’épaisseur n’était que de quelques milimètres, il a d’abord fallu fabriquer un moule exact à partir d’une empreinte 3D afin de la transporter sans danger. Elle a ensuite été consolidée à l’aide de résines et le décor originel a ensuite été dégagé.

Porte calcinée Kafir-Kala. Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Je m’arrête ensuite longuement devant la magnifique ancienne calligraphie arabe koufi du Coran de Kattalangar, l’un des premiers manuscrits du Saint Coran datant des premiers temps de l’islam. Ce manuscrit a été rédigé aux premiers temps de l’islam, dans le dernier quart du VIIIe siècle. En me renseignant par la suite, j’apprendrais que ce manuscrit a été dispersé et qu’une grande partie se trouve actuellement à Saint-Petersbourg[2]Note sur les fragments coraniques anciens de Katta Langar (Ouzbékistan), Cahiers d’Asie Centrale, 1999 (voir lien)

Page du Coran de Kattalangar, l’un des premiers manuscrits du Coran datant des premiers temps de l’islam. Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Une belle série de manuscrits arabes enluminés est présentée. Je me penche sur l’énigmatique enluminure tirée d’une anthologie du verger. Il s’agit du texte connu par sa traduction française par A.-C. Barbier de Meynard Le Boustan, ou Verger de Saadi[3]Le Boustan, ou Verger : poème persan de Saadi ; traduit en français, par A.-C. Barbier de Meynard, (voir lien), un poete persan que Voltaire admirait.

Le prince s’entretient avec le poète. Double page illustrant l’anthologie du verger de Saadi. Ouzbékistan, Boukhara. Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Une très belle double page illustre Le Trésor des secrets, un poème édifiant d’inspiration mystique qui réunit des réflexions morales sous forme d’anecdotes. Fruit de la collaboration entre plusieurs maîtres œuvrant dans le ketabkhâneh (atelier) du sultan chaybanide ‘Abd-al-‘Azîz, à Boukhara, la copie de ce manuscrit de grand luxe a été achevée par l’un des plus grands calligraphes persans : Mir ‘Alî al-Kâteb. Exécutée plus tardivement, en 1545 ou 1546, cette double-page, peinte par Mahmûd Mozahheb, évoque un épisode célèbre censé inspirer la conduite des souverains envers leurs sujets. Le sultan seldjoukide Sanjar, en route pour la chasse (représentée sur la page de droite), rencontre une vieille femme qui se plaint d’avoir été réduite à la misère par ses gens. Le souverain est alors rongé de remords. L’art de Boukhara atteint ici son apogée dans la finesse du détail et la somptuosité des couleurs. Les visages des personnages ont été retouchés, sans doute en Inde moghole où le manuscrit s’est trouvé au XVIIe siècle[4]Leçon de morale à un souverain, BnF (voir lien). De retour chez soi, je peux feuilleter à loisir sur Gallica le magnifique manuscrit.

Le sultan Sanjar, interpellé par une vieille femme. Double page d’un « Trésor des secrets de Nizami », mai 1538, Paris, Bibliothèque nationale de France. Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

J’ai eu envie de retrouver le texte original, illustré par cette miniature. Il s’agit d’une exhortation d’un pauvre à un puissant, [5]La réponse du poète chaghatay Nawā’ī au poète persan Niẓāmī, Cahiers d’Asie Centrale, 2015 (voir lien), qui me semble avoir encore toute son actualité, quelque part en Ukraine, mais aussi un peu chez nous!

<…>ne dépouille pas une vieille femme du peu de ce qu’elle possède
aie honte des cheveux blancs d’une vieille femme

tu es esclave et tu prétends à la royauté
tu n’es pas un roi quand tu te livres à la destruction

le roi qui met en ordre les affaires du royaume
gouverne ses sujets avec bonté

afin que tous obéissent à ses ordres
et qu’ils le chérissent dans leur cœur et leur âme

tu as mis le monde sens dessus dessous
durant ton existence enfin qu’as-tu fait de bien ? <…>

les habitations des citadins à cause de toi ont été ruinées
la récolte des paysans à cause de toi a été réduite à néant

compte avec la venue de la mort
sa main arrive, protège-toi

ta justice est la lampe qui éclaire ta nuit
le confident de ton lendemain est ton jour présent

rends les vieilles femmes joyeuses par ta parole
et souviens-toi de cette parole d’une vieille femme

ne lève pas la main sur les malheureux
afin de ne pas souffrir des flèches de ceux qui souffrent

combien de temps vas-tu tirer des flèches dans tous les coins
tu ignores les ressources des sans ressources

tu es arrivé tel une clé pour la conquête du monde
tu n’es pas apparu pour soutenir l’injustice

sache qu’en tant que roi c’est à toi de faire diminuer l’oppression
si les autres ont des plaies c’est toi qui les panses

les faibles ont coutume de te courtiser
tu dois avoir pour coutume de leur accorder tes faveurs

écoute ceux qui mendient
protège les rares personnes qui se sont retirées du monde »

Je termine cette exposition ému par ce manuscrit d’Avicenne (Ibn Sina, ابن سینا) scientifique majeur persan du XIe siècle. J’imagine le ou les lettrès qui ont créé les magnifiques notes marginales rayonnantes, qui semblent graphiquement « éclairer » le texte. Pour assouvir ma curiosité sur Avicenne, je trouve une très intéressante monographie publiée par l’Unesco. [6]Avicenne, Le Courrier de l’UNESCO: une fenêtre ouverte sur le monde, 1980, (voir lien)

Manuscrit d’Ibn Sina (Avicenne), 14e siècle. Institut des études orientales, Tachkent. Exposition « Splendeur des oasis d’Ouzbékistan », musée du Louvre (photo Nicolas Demassieux)

Je quitte l’exposition en rêvant de voyage en asie centrale, où, très probablement, je n’irais jamais. J’ai, en préparant ce billet, fait une promenade virtuelle, en utilisant le toujours intéressant site de l’UNESCO qui présente le patrimoine mondial de l’hulanité

  • Samarkand – carrefour de cultures, [7]Samarkand – carrefour de cultures, UNESCO (voir lien)
  • Centre historique de Boukhara[8]Centre historique de Boukhara, UNESCO (voir lien)

Je terminerais ce billet sur une images évocatrice, prise par mon beau-père il y a 25 ans, près de Boukhara, dans les tous premiers temps de l’ouverture de l’Ouzbekistan au tourisme.

Tchar-Bakr, nécropole, située dans le village de Soumitan, à 8 km à l’ouest de Boukhara en Ouzbékistan. (Photo Michel Morin)

Un petit tour sur Google maps permet de voir à quel point le lieu a changé en 25 ans (voir vue 360°).

Tchar-Bakr, aujourd’hui (Photo Evgeniy “Di’AleN” Alenov via Google maps)

References

References
1 Sur les routes éternelles de Samarkand, ArteTV (voir lien)
2 Note sur les fragments coraniques anciens de Katta Langar (Ouzbékistan), Cahiers d’Asie Centrale, 1999 (voir lien)
3 Le Boustan, ou Verger : poème persan de Saadi ; traduit en français, par A.-C. Barbier de Meynard, (voir lien)
4 Leçon de morale à un souverain, BnF (voir lien)
5 La réponse du poète chaghatay Nawā’ī au poète persan Niẓāmī, Cahiers d’Asie Centrale, 2015 (voir lien)
6 Avicenne, Le Courrier de l’UNESCO: une fenêtre ouverte sur le monde, 1980, (voir lien)
7 Samarkand – carrefour de cultures, UNESCO (voir lien)
8 Centre historique de Boukhara, UNESCO (voir lien)

1 commentaire pour “Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan”

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