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Sous les pavés… la carrière de la Troche

J’ai connu la carrière de la Troche envahie de végétation et couverte de tags. Une restauration récente a remis en valeur ce site très accessible, particulièrement intéressant pour ceux qui s’intéressent à la géologie du bassin parisien. Les textes ci-dessous sont partiellement extraits de panneaux explicatifs disséminés sur le site du parc Municipal Eugène Chanlon (coordonnées).

Carrière de la Troche – photo Nicolas Demassieux, juin 2019

Le parc municipal Eugène Chanlon occupe une zone boisée à la limite de la commune d’Orsay; il porte le nom d’un bienfaiteur du quartier de Lozère. Son principal intérêt est la carrière de la Troche dont subsiste le front de taille sur une hauteur de 5 m et une longueur de 200 m. La pierre extraite est constituée de grès qui a été pendant longtemps utilisée pour fabriquer les pavés des rues et les bordures de trottoirs (ou les encadrements des portes et des fenêtres des maisons). Au-dessus de ces bancs de grès, on trouvait de la pierre meulière alvéolaire utilisée pour les murs des maisons. L’exploitation de ces matériaux est ancienne dans toutes les vallées des environs (au moins depuis le XVII’ siècle). Ces bancs de grès et de sable dits de Fontainebleau se sont formés à l’ère quaternaire (période du stampien[1]Pierre Lozouet, Stratotype Stampien, Collection Patrimoine Géologique, 2012), il y a 30 millions d’années environ. La méthode d’exploitation consiste à fractionner les blocs à la mine et à tailler au marteau les pavés à la dimension désirée sur un baquet servant d’établi. A la fin du XIXème siècle, la carrière est possédée par la famille Pigeon (dont Victor Pigeon, député de Seine et Oise) qui a également le moulin de Lozère et la ferme des Granges ; elle emploie 25 à 30 ouvriers; la production est envoyée à Paris par le chemin de fer à la gare de Lozère, où un embranchement a été aménagé; la carrière a fermé en 1937.

Embarquement des pavés de grès à la gare de Lozère – Source Archives départementales de l’Essonne

Aujourd’hui le front de taille est utilisé par les amateurs de varappe et le site est répertorié par les grimpeurs de Fontainebleau. Le site contient aussi une sculpture de «fenêtre romane», qui ne date que de 2004.

La «fenêtre Romane» – photo Nicolas Demassieux, janvier 2022
La «fenêtre Romane» – photo Nicolas Demassieux, janvier 2022
Visite nocturne à la carrière de la Troche – photo Nicolas Demassieux, octobre 2020

Une fenêtre sur les temps géologiques

L’ancienne carrière de grès abrite une série de strates géologiques caractéristiques des buttes du Hurepoix. On peut y observer de bas en haut : des Sables de Fontainebleau qui constituent le plancher de la carrière, une lentille de grès de Fontainebleau, de l’argile à meulières et enfin, près de la surface, des poches remplies de sables grossiers appelés sables de Lozère.

Sol (sable de Fontainebleau), et front de taille (grès de Fontainebleau) de la carrière de la Troche, surmontés par l’argile à meulières rendu visible par l’absence de végétation – photo Nicolas Demassieux, janvier 2022
Coupe géologique schématique au niveau de la carrière de la Troche

Sables et grès de Fontainebleau

Extension de la mer dans le bassin parisien au Stampien

Les Sables de Fontainebleau sont le témoin de la dernière mer dans le bassin parisien au Stampien (le nom de cette période est dérivé d’Étampes, localité type du Stampien), il y a environ 30 millions d’années. Ils ont été déposés en milieu marin, sauf leur partie sommitale qui correspond à un dépôt éolien.

Plus tard, bien après le retrait de la mer stampienne, ces sables ont été en partie lithifiés (c’est à dire transformés en roche dure), sous la forme de lentilles de grès qui jalonnent d’anciennes dunes (cf. carte ci-contre). Le processus de cette grésification et son âge restent le sujet de controverses scientifiques. Toutefois, les géologues s’accordent sur le rôle de nappes d’eau souterraines circulant au sein des sables, y dissolvant la silice, la transportant, et par précipitation, la déposant, cimentant entre eux les grains de sable.

Sable de Fontainebleau – collection et photo Nicolas Demassieux
Bloc de Grès de Fontainebleau – collection et photo Nicolas Demassieux
Le grès ne forme pas une dalle continue au sein des Sables de Fontainebleau, mais se répartit en grandes bandes curvilignes et parallèles sur des dizaines de kilomètres. On attribue cette géométrie particulière au tracé d’anciennes dunes. Carte des grès de Fontainebleau, et affleurements (en rouge) d’après H. Alimen1936.
Dégagés par l’érosion.les bancs de grès ont produit les plus beaux reliefs du sud de l’Île-de-Françe. Leur surface denudée forme des platières tandis que, sur le versant des vallées, les bancs se sont disloqués et effondrés en chaos de blocs caractéristiques.

➋ L’argile à meulières

Au dépôt des Sables de Fontainebleau ont succédé des dépôts lacustres calcaires. Ceux-ci subsistent en Beauce et dans le Gâtinais : ce sont les Calcaires de Beauce. Plus au nord, comme ici dans le Hurepoix, ceux-ci ont été altérés puis remplacés (processus de dissolution) par une argile dans laquelle sont disséminés des blocs de meulières, pierre caractéristique utilisée en construction en région parisienne, mais aussi pour la fabrication des meules à grain.

Échantillon de meulière – collection et photo Nicolas Demassieux

➌ À Palaiseau, la localité type des sables de Lozère

Dans un laps de temps compris entre 11 et 3 millions d’années, la région fut temporairement sur le trajet d’un grand fleuve qui charria d’énormes quantités de sables grossiers et de limons, depuis le Massif central jusqu’à la Manche. Ces sédiments alluviaux, issus de l’érosion des roches cristallines du socle ancien (granite et gneiss riches en quartz), constituent une formation géologique qui est dénommée Sables argileux de Lozère. En effet, ici à Palaiseau, au-dessus du hameau de Lozère, qu’elle fut reconnue pour la première fois en 1885 par le géologue Gustave Frédéric Dollfus.

Carte des dépôts fluviaux de sables de Lozère (en jaune)
Sables de Lozère – collection et photo Nicolas Demassieux

Sur le gisement du pavé parisien

Le grès dit «de Fontainebleau» a été exploité depuis le Moyen-âge, d’abord pour la construction, puis à mesure que la circulation se développait, son utilisation s’est imposée sous la forme de pavés pour le revêtement des chaussées. C’est en 1184 que fut établi, sur l’ordre de Philippe-Auguste, le premier pavage de Paris avec de grandes dalles de grès appelées «quarreaux». Au fil du temps, le pavé fut d’abord extrait de la forêt de Fontainebleau, mais jugé trop tendre, il a été supplanté par le «grès franc» du sud de Paris. Au cours du 19ème siècle, les carrières de la vallée de l’Yvette ont fourni un grès franc de la meilleure qualité, dont les gisements les plus réputées étaient exploitées à Palaiseau, Orsay, Gif-sur-Yvette et Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

À la Troche au temps des carriers

La carrière de la Troche vers 1900 – Source Archives départementales de l’Essonne

Les terrassiers creusent et déblaient l’argile à meulières avec pelles et pioches jusqu’à découvrir le bac de grès. Les terres sont évacuées à l’aide de wagonnets et sont rejetées dans la pente.

➋ ➌ Sur le front de taille (2), un gros bloc a été abattu et git sur le plancher de la carrière (3). Les mortaiseurs vont alors découper ce mastodonte de pierre à l’aide de coins en fer.

➍ Le grès passe chez le coupeur qui le divise avec son couperet de vingt livres (10 kg) et dégrossit pavés, bordures et marches …

➎ Le piqueur retouche avec le ciseau-massette jusqu’à obtenir le format définitif. Les petits pavés sont façonnés dans un
baquet rempli de sable.

➏ Les éclats de débitage et de taille, appelés ravelins et échenillures sont entassês en terrasse pour consolider le contre-flanc de la carrière. C’est le travail des chatouts, expression qui dérive de «touche-à-tout».

➐ Les chatouts sont aussi chargés de la manutention, de l’empilage (en pyramide de 1000 pavés), du marquage et du
chargement des produits finis.

Les outils du carrier

Gros coin à mortaise

➋ Couperet

➌ Ciseau-massette

➍ Broches ou pointerolles

➎ Massette à tailler

➏ Règle

➐ Baquet

Utilisation locale du grès de Fontainebleau et des meulières

Il reste ça et là Palaiseau quelques cours et ruelles pavées en grès de Fontainebleau, et la pierre de meulière a été très largement employée pour la construction de pavillons de banlieue, dans le sud de Paris. La photo ci-dessous montre une utilisation par l’homme de ces pierres qui respecte les stratifications géologiques : le grès de Fontainebleau pave la rue, et les murs et le pavillon, au-dessus, sont bâtis en meulière, plus récente.

Grès de Fontainebleau et pierre de Meulière dans leur utilisation traditionnelle, dans une ruelle de Palaiseau – photo Nicolas Demassieux

Pour délimiter le domaine royal occupé par le réseau des rigoles du plateau de Saclay créé sous Louis XIV pour alimenter en eau le château de Versailles il est encore possible d’observer des bornes en grès de Fontainebleau ornées d’une fleur de lys. Ces bornes en grès sont imposantes par leur poids et leur taille (de 90 cm à 1,40 m, dont 50 cm environ hors de terre) afin de dissuader les tentatives de déplacement. Un recensement effectué au cours du XIXe siècle dénombrait 1 218 bornes. Seulement 160 environ sont encore visibles aujourd’hui. Source Archéologie du plateau de Saclay, INRAP.

Borne royale en grès de Fontainebleau – photo Nicolas Demassieux
Autre type de borne royale en grès de Fontainebleau, plus rare, ornée d’une couronne – photo Nicolas Demassieux

Les grès de Fontainebleau servaient aussi parfois à paver des chemins dans la campagne. Un très beau segment subiste sur le chemin qui mène à la ferme de la Martinière (Coordonnées géographiques).

Chemin en pavé de grès conduisant à la Martinière, Saclay, janvier 2022

References

References
1 Pierre Lozouet, Stratotype Stampien, Collection Patrimoine Géologique, 2012

1 commentaire pour “Sous les pavés… la carrière de la Troche”

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