J’avais 10 à 12 ans quand mes parents nous emmenèrent dans le Pyrénées. Il s’agissait d’aller voir la famille Macaudière (Jean Macaudière était un géologue, collègue de mon père), qui avait loué un gîte à Loudenvielle. Lors de ce séjour, le jeune lorrain que j’étais a fait ses premiers pas en montagne. Je me souviens que nous avions grimpé un col, près d’un grand lac (peut-être le lac d’Orédon), que nous y avions pique-niqué, et que nous avons dû forcer le pas à la redescente en raison d’orages menaçants. Ma mère étant handicapée en raison d’une poliomyélite infantile, cette sortie ne devait pas être bien difficile. Mais le jeune lorrain que j’étais avait, pour la première fois, admiré cet environnement montagnard, et en est tombé amoureux. Pendant la soirée, Jean Macaudière nous avait raconté son ascension du pic d’Ardiden, effectuée quelques jours auparavant. Exagérant sans doutes la difficulté de cette ascension, il avait ce jour-là fait naître en moi une aspiration pour les aventures montagnardes.
Plus de 50 ans après, me voilà en route pour quelques jours de randonnée en solo, dans le secteur entre le massif du Vignemale et le pic d’Ardiden. La fenêtre méteo n’est pas idéale (pluie annoncée le 1er jour, suivis de quelques jours « allant vers le beau temps »), mais je n’ai pas eu trop le choix des dates.
Le parcours que j’avais préparé : Gavarnie, vallée d’Ossoue, Lac et col des Gentianes, Lac Glacé, Lac du Malh Arrouy et redescente vers le lac d’Estom, cabane Russel, Pic d’Ardiden en aller-retour, retour via le col d’Arraillé, ascension en A/R du petit Vignemale. Mais le premier jour était si mauvais que j’ai décidé au dernier moment d’inverser le sens du parcours, passant d’abord par le col d’Araillé, puis revenant via le col des gentianes pour passer ce col spectaculaire par beau temps.
Au total, en 3 jours et demi du 21 au 24 août 2025, cette randonnée m’a permis de parcourir 70km avec près de 3000m de D+.
Traces Strava
- J1 – Gavarnie – Cabane Russel
- J2 – A/R pic d’Ardiden depuis la cabane Russel
- J3 – de la cabane Russel au lac des Gentianes
- J4 – retour lac des Gentianes – Gavarnie

J1 – Gavarnie – Cabane Russel
Départ 7h du matin de Gavarnie. Je remonte en voiture, sous une bruine fine, la vallée d’Ossoue. Je décide de me garer à la fin de la route asphaltée et de marcher les 3km de route empierrée pour rejoindre le barrage d’Ossoue. En temps normal, le parcours est magnifique, avec le massif du Vignemale en ligne de mire au fond de la vallée. Mais aujourd’hui, les nuages sont très bas et tous les sommets sont invisibles. La route est tristounette.
Je passe à la cabane de Milhas, un refuge non gardé qui utilisé dans le cadre du pastoralisme. Un panneau explicatif m’apprends que la vallée d’Ossoue fait l’objet d’accords entre Espagne et France. Apparus sous forme orale autour de l’an 1000s, ces sortes de traités de paix entre communautés rurales sont devenus écrits à partir du 14ème siècle et règlent l’usage des bois, des eaux et des pâturages. En effet, les bergers espagnols avaient pris l’habitude de venir l’été en estive du côté français, où les pâturages bénéficient d’un climat beaucoup plus humide de ce côté des Pyrénées. Ces accords ont connu des vicissitudes en fonctions des guerres entre les deux pays et avaient fini par disparaitre sous l’Empire. Le traité de Bayonne, conclu le 2 décembre 1856, les a fait renaître. Depuis, une transhumance spectaculaire et périlleuse a lieu chaque année : des éleveurs espagnols franchissent le col de la Bernatoire (2270 mètres d’altitude) depuis la vallée de Broto, et rejoignent la France avec plus de mille têtes de bétail, qui empruntent un itinéraire de haute montagne.

Mais c’est à un autre animal que je pense : la consultation de documents du réseau Natura 2000 d’Ossoue [1]Document d’objectifs du réseau Natura 2000 de la zone spéciale de conservation d’Ossoue m’avait appris que les rives du gave d’Ossoue, près de la cabane de Milhaus, est une des stations du mythique Le Desman des Pyrénées (Galemys pyrenaicus) est le plus gros insectivore aquatique de France. Il faut partie de la famille des taupes, et pèse 50-80 g pour une longueur de 25 cm, queue comprise. Sa morphologie — trompe sensorielle sophistiquée, pattes palmées et queue gouvernail — illustre une évolution renforçant ses capacités de chasse dans des eaux froides et rapides. Son mode de vie est peu connu, je n’ai trouvé que cet ancien article au sujet de son mode de vie [2]P.B. Richard, A. Vallette Viallard, Le desman des Pyrénées (Galemys pyrenaicus) premières notes sur sa biologie, 1969. Il est essentiellement nocturne, aussi il est peu probable que je le rencontre. Mais cela me rend triste de savoir que cet animal aussi mystérieux qu’attachant est en danger d’extinction.

Arrivé au barrage d’Ossoue, j’y trouve pas mal de voitures stationnées : le lac d’Ossoue, accessible en automobile, est à l’évidence une destination prisée pour passer un WE d’été. Au barrage, un panneau indique que la passerelle qui permet au GR10 de traverser la rivière d’Ossoue au bout du lac a été détruit en 2024 par une crue. J’emprunte donc l’itinéraire de secours, une sente herbeuse en devers qui longe la rive sud du lac.


Le paysage est fantomatique. Pendant toute la matinée, alors que je m’élève dans les lacets du GR10, des bancs de brume alterneront avec des moments de pluie. Sans être adepte de l’ultra-léger (le « fast packing » est une tendance marquée sur Youtube), je me suis attaché à minimiser le poids de mon sac (il doit faire 14kg, nourriture et eau comprise). Du coup, je dépasse assez souvent des randonneurs qui montent comme moi vers le Vignemale. Je ne sors que très peu mon appareil photos, sauf pour prendre quelques clichés de plantes encore fleuries en cette fin d’été, dont la délicate Parnassie des marais que je trouve le long d’un petit torrent.

Plus la matinée avance, l’altitude aidant, plus la pluie augmente d’intensité. J’avais imaginé bivouaquer au lac des gentianes, pour profiter de la vue exceptionnelle qu’on y a sur le massif du Vignemale. Je sais, grâce au topo de à l’exceptionnel site Topopyréenées, que la montée vers le lac des gentianes est assez technique. La météo est vraiment mauvaise, et je décide donc de modifier mon itinéraire, et de faire le passage col-lac des gentianes lors de mon retour dans 2 ou 3 jours, en espérant que les conditions seront meilleures.
Il est presque midi quand je parviens aux grottes Bellevue, que Henry Russel avait fait creuser en 1890. Le cadran solaire qu’il avait fait peindre sur la parois de l’une d’entre elles a été entretenu, et est encore visible. Du côté du pic d’Ardiden, je croiserais encore les pas du comte Henry Russel, un grand pyréneiste.

Quelques minutes après avoir dépassé les grottes, j’atteins le refuge de Baysellance (2651m). Datant de 1899, c’est le plus haut et le plus ancien des refuges pyrénéens gardés, le second après celui de Tuquerouye, qui n’est pas gardé. J’ai beau avoir mis toutes mes couches de vêtements et être protégé par mes excellentes vestes et pantalons en Goretex, j’ai très froid : je décide de m’abriter une petite heure au refuge pour prendre un thé chaud et mon repas de midi, tiré du sac. Le refuge a un petit air de salle de jeu : de nombreux randonneurs ont manifestement préféré rester au chaud avec des jeux de société qu’affronter la pluie froide qui ne cesse de tomber.
Un peu réchauffé, je reprend l’ascension de la Hourquette d’Ossoue (2734m) qui est juste au dessus du refuge. En lague gasconne, Hourquette, dérivé de hourque « fourche » (du latin furca) est un col en V, en principe plus resserré qu’un col et moins marqué qu’une brèche. Cette hourquette, entre la vallée de Gaube et la vallée d’Ossoue est la plus à l’ouest de la collection de hourquettes du secteur Gavarnie/Vignemale que j’ai gravies dans le passé : hourquettes de Chermentas, de Héas, d’Alan. Le brouillard est tel qu’on ne voit rien… sauf un gros cairn au milieu d’un paysage très caillouteux.

Le tems se dégage un peu dans la descente vers les lacs d’Araillé… le soleil perce la couche de nuage un bref moment et j’aperçois au loin le refuge des Oulettes de Gaube. Je quitte alors le GR10 pour m’engager dans la montée vers le col d’Araillé. Au bout de quelques lacets, j’aperçois une marmotte bien dodue qui profite d’une petite éclaircie pour brouter quelques feuilles. Elle m’a vu mais elle semble plus affairée qu’inquiète, et je peux prendre une belle photo de la marmotte dans les herbes ou perlent des gouttes de pluie.



Je reprends mon ascension : cet itinéraire est peu fréquenté et je profite d’une absolue solitude dans un paysage qui devient de plus en plus minéral. La montée se fait dans une immense chaos de blocs de granite.



La première partie de la descente depuis le col passe, elle aussi, par un chaos de gros blocs. Je fais attention car la pluie a rendu les blocs glissants et le cheminement délicat. Cela ne m’empêche pas de tomber assez lourdement suite à un pas mal assuré, cassant net dans la chute un de mes deux bâtons. La suite de ma rando sera donc avec un seul bâton !
Un peu plus loin, j’ai le bonheur d’observer une salamandre tachetée, qui se déplace lentement le long du chemin. C’est normalement un animal nocturne ; il faut croire que la pluie l’a décidée à partir en chasse! Vérification faite au retour, sur le site du parc national des Pyrénées, je me trouve effectivement dans une zone où elle est présente.

La descente se poursuit dans la brume, et je n’apercevrais le lac d’Estom que quelques minutes avant d’y arriver. Il est 16h quand je parviens enfin au refuge d’Estom.

Je ne m’y arrête que pour refaire le plein d’eau, et j’entame la descente de la vallée d’Estom. Cela fait 9h que je marche sous la pluie, et j’ai encore 500m de D+ à remonter pour atteindre la cabane Russel, au pied du pic d’Ardiden. J’espère y passer une nuit moins humide que si je bivouaquais. C’est une cabane non gardée (et donc non réservable) et j’espère qu’elle ne sera pas trop bondée. Quand j’y arrive, le refuge est fermé : j’y serais donc le seul occupant cette nuit. Il est presque 18h et la journée a été beaucoup plus longue que prévue en raison de mon changement d’itinéraire : 33km et 1600m de D+… Pas étonnant que je sois fatigué. Je prends le temps d’allumer une belle flambée et je profite d’un repas au sec et au calme. Le refuge est particulièrement propre et bien entretenu. Il a été construit en 1910 mais il faut remercier les bénévoles du CAF de Tarbes qui l’entretiennent. Extinction des feux vers 21h, en espérant que la journée de demain sera plus ensoleillée.


J2 – A/R pic d’Ardiden depuis la cabane Russel
Lever 6h. Le ciel n’est pas étoilé et il semble que je suis toujours dans la brume. Petit-déjeuner copieux. Je laisse mon sac de randonnée dans le dortoir et je m’équipe avec mon sac de trail contenant mes équipements de sécurité, quelques vivres de course, et 3 litres d’eau : la cabane Russel dispose d’une très belle source, mais je sais qu’il n’y a aucun point d’eau le long du chemin vers le pic d’Ardiden. C’est Henry Russel qui, le premier, en a fait l’ascension en 1858[3]Henry Russell, Souvenirs d’un montagnard, 1878. Il y est monté par les lacs d’Ardiden et son versant Nord, alors que je vais emprunter l’itinéraire venant du Sud.
Je quitte le refuge vers 7h, la lumière étant suffisante pour s’orienter sans lampe frontale. Le sentier monte dans un bois de pins, puis serpente entre pelouses et zones plus rocheuses où le sentier disparaît au profit de cairns. Le topo précise qu’il faut, à l’altitude de 2090m, quitter le sentier principal qui monte au col de Culaus, et prendre sur la gauche le sentier qui monte vers le pic d’Ardiden. J’ai réglé mon altimètre au refuge et je suis vigilant pour ne pas rater cet embranchement. Mais au bout d’un certain temps, je me rends compte que j’ai largement dépassé cette altitude et que je monte franchement Sud-Est alors que je devrais monter vers le Nord-Ouest. J’ai certainement raté l’embranchement. Je reviens sur mes pas, assez longtemps, puis, pris d’un doute, je remonte pour aller un peu plus loin… Je ne vois, ni à la descente ni pendant la remontée, le départ de ce sentier. Je décide de redescendre cette fois très franchement en dessous de l’altitude indiquée, puis de repartir en faisant très attention. Finalement, 30mn plus tard, je finis par voir avec un grand soulagement le départ du sentier. Mon oeil avait été attiré par un très gros cairn à droite et, sans doute à cause de la brume, j’avais raté la seule indication de ce embranchement : une petite pierre blanche triangulaire que je ne découvrirais… qu’à mon retour.

Soulagé d’être sur la bonne voie, je continue de prendre de l’altitude et, vers 2200m, je sors progressivement de la mer de nuages. Les spectacles est magnifique, avec l’aube qui illumine d’une lumière rosée les crêtes qui entourent la vallée du Lutour.


Le sentier a maintenant disparu. Il faut cheminer de cairn en cairn, en visant la brêche de Pourtaou des Agudes (2570m), que je devine à droite de la falaise qui barre mon horizon au Nord.

Je me retourne pour admirer le spectacle de la chaîne du Vignemale qui se dresse derrière le col d’Araillé où je suis passé hier : je distingue parfaitement son entaille en forme de V.

Je progresse rapidement en profitant du fait que je suis encore à l’ombre, et je parviens à la brèche de Pourtaou des Agudes (2570m). La vue vers le Nord est magique : les Pic de Peguère (2316m) dépasse tout juste de la mer de nuage, devant deux sommets les Grand Gabizos (2692m) et Monné de Cauteret (2724m). A la droite du cairn, j’identifie le Cabaliros (2334m), lui aussi à peine au dessus des nuages.

Une petite pause bien méritée, et je me m’engage dans à droite de la brèche dans un sentier qui suit globalement la ligne de crête. Il faut être vigilant et progresser calmement de cairn en cairn. L’ascension est un véritable parcours de blocs suivant la crête mais s’en éloignant parfois pour contourner un gendarme. Sans être de l’escalade, l’usage des mains est souvent utile et indispensable pour progresser en sécurité. Et il faut savoir s’arrêter parfois pour admirer, derrière soi, la crête



Environ 1h15 après le passage du Pourtaou des Agudes, je parviens au sommet. Il manque 12m pour que le pic d’Ardiden soit un 3000m. Mais il mérite absolument un statut de quasi-300m : son accès est plus difficil que bien des 3000m les plus courus. Et sa position assez isolée, au nord de la chaîne frontalière des Pyrénées, en fait une point d’observation remarquable, avec une vue à 360° de toute beauté. Je décrouvrirais d’ailleurs après mon retour une magnifique gravure de cette vue, réalisée dans les années 1870-1880 par Édouard Wallon[4]Édouard Wallon, Pyrénées Centrales Panorama général circulaire pris du sommet du pic Ardiden, ce qui m’a permis de proposer les juxtapositions qui suivent entres les photos prises du sommet et des extraits de cette gravure.














La redescente se fera assez largement au soleil et sans difficulté d’orientation. Mais je vais payer le prix du passage à travers les blocs d’un claquage au quadriceps de la jambe gauche. Une petite glissade que j’essaye de rattraper en force…. avec des jambes qui n’ont plus 20 ans, ni même 50 ans! Si je veux continuer à crapahuter en montagne, il va me falloir être plus vigilant et moins compter sur ma force! Je ne croiserais que deux randonneurs espagnols, en train de monter vers le pic d’Ardiden… qui n’aura donc connu aujourd’hui que 3 visiteurs en tout et pour tout.
Arrivé à 2200m, je rentre à nouveau dans la couche de nuages qui n’a pas bougé de la journée. Je suis de retour au refuge Russel vers 14h, je déciderais sagement d’y rester pour la nuit pour laisser un petit temps de récupération après mon claquage. Je passerais l’après-midi et refaire une provision de bois pour compenser les buches que j’ai brûlées la veille au soir. Un groupe de 6 jeunes arrive et nous partagerons la soirée au refuge. Coucher 21h après cette « petite » journée 12km et 1000m de D+.
J3 – de la cabane Russel au lac des Gentianes
Lever 6h pour partir avec l’aube. C’est la première journée où le ciel est complètement dégagé. La couche de nuage est descendue à 1400m, ce qui fait que seule la basse vallée du Lutour se trouve sous les nuages. Le soleil levant effleure les sommets de la crête d’Estibe Aute alors que je descend le sentier Falisse pour rejoindre, 400m plus bas, la passerelle de Pouey Caut qui franchit le gave du Lutour. La remontée de la vallée, vers le refuge d’Estom dans une toute autre ambiance que la descente que j’avais faite dans la brume 2 jours plus tôt. La vallée est encore dans l’ombre, mais le soleil illumine le triangle du Pic de Labas, qui se trouve dans l’axe exact de la vallée.




Je passe rapidement au refuge d’Estom, juste le temps de faire un plein d’eau et de me renseigner sur la meteo de la soirée. Bonne nouvelle : les orages qui, il y a quelques jours étaient annoncés pour la soirée, ne seront pas au rendez-vous. Le lac d’Estom reflète sur ses eaux calmes les Pic de Labas (2946m) et Pic de la Sède (2976m). La vue est spectaculaire : elle a inspiré, entre 1860 et 1870, le photographe Jules Andrieu (1816-1876) qui a pris exactement la même vue que je ne résiste pas à juxtaposer avec la mienne.


J’entame la montée depuis le lac d’Estom vers le col d’Araillé qui se fera en plein soleil, me retournant fréquemment pour admirer les pics d’Ardiden (2988m) et de Cestèdre (2942m) qui se profilent au dessus du lac d’Estom. La bréche du Pourtau des Agudes et la crête vers le pic d’Ardiden sont à environ 5km à vol d’oiseau. J’essaye de retrouver, visuellement, l’itinéraire que j’ai choisi hier quand je suis interrompu par un Azuré qui, cherchant sans doute un peu d’humidité ou de sel, se pose sur mon avant-bras.



La montée du sentier d’Estom Soubiran me permet d’atteindre le 1er lac (lac de Labas) vers 12h. Je m’y arrête pour une pause déjeuner. Je poursuis mon ascension, passant successivement le lac des Oulettes d’Estom Soubiran, le lac Couy, puis le lac Glacé, qui s’étagent entre 2200m et 2500m. En cette belle journée, je croise pas mal de promeneurs qui font cette ballade des lacs qui parsèment le cirque d’Estom Soubiran.





Quelques passages un peu délicats réduisent peu à peu la fréquentation, et je suis presque seul quand je parviens au lac glacé. Sa couleur sombre contraste avec la série de lacs bleu azur que je viens de passer. Ses eaux reflètent les murailles verticales d’un gris anthracite, qui luisent curieusement sous les rayons obliques du soleil. Le lieu, calme et sauvage, a quelque chose d’inquiétant qui me fait penser au petit lac à l’ouest de la porte de la Moria dans le Seigneur des Anneaux.
Before them stretched a dark still lake. Neither sky nor sunset was reflected on its sullen surface. Beyond the ominous water were reared vast cliffs, their stern faces palling in the fading light; final and impassable.
J.R.R. Tolkien, Le seigneur des anneaux, Livre II,5
Devant, s’étendait une lac sombre et dormant. Ni le ciel, ni le soleil couchant ne se reflétaient à sa morne surface […] Au delà de l’eau sinistre s’élevaient de vastes escarpements aux faces rébarbatives et blafardes, dans la lumière evanescente : finals et infranchissables.
J.R.R. Tolkien, Le seigneur des anneaux, Livre II,5, traduction de Francis Ledoux
D’où je suis, le col des gentianes est encore invisible, et je m’imagine un instant attendre la nuit pour que la lumière de la lune me permette d’ouvir la porte des tunnels de la Moria, qui me permettraient de traverser les montagnes pour rejoindre le lac du miroir que décrit Tolkien. Mais ce soir est une soir de nouvelle lune, et sans lumière lunaire, impossible d’atteindre la Moria.
De nouveau, je croise les pas d’Henry Russel qui, après sa dix-septième ascension du Vignemale, décide le 12 aout 1887 de redescendre sur Gavarnie par le vallon d’Aspé au lieu de l’habituel vallée d’Ossoue. Un première pour lui. Pour cela il passe le col des gentianes, et décrit le lac Glacé en ces termes :
…comme au fond d’un cratère, deux petits lacs couverts d’un suaire de neige dormaient d’un éternel sommeil (lac glacé et « petit lac du col »). Ce sont les plus élevés de tous les lacs de Soubiran. De quelles horreurs ces lacs sont entourés ! Quelle sauvagerie et quel décharnement ! Tous les rochers ont l’air féroces. Ces lacs glacés, en plein été, dans des gorges sombres, stériles et silencieuses, ont une blancheur sinistre et symbolique. On croit sentir le voisinage glacial d’un mort abandonné dans les régions polaires…
Comte Henry Russel, 1887

Je m’engage sur la piste cairnée qui part sur la droite. Je serais seul pendant toute la montée, et la vue spectaculaire depuis le col des gentianes me récompense de la belle montée que je viens d’accomplir. Je découvre, pour la première fois, le massif du Vignemale et ce qu’il reste de ses glaciers avec, sur la droite, le refuge de Baysselance où je suis passé, sous la pluie, deux jours plus tôt.


M’avançant de quelques centaine de mètre, j’aperçois le lac des Gentianes et j’entame la descente, ne cessant d’admirer ce panorama qu’Henry Russel avait lui aussi identifié comme unique.
…au lac des Gentianes, petit lac profond et solitaire, d’un bleu pyrénéen, et dont la neige et les gentianes se disputaient les rives. Je me mis à rêver… Mais de quelle émotion, je fus saisi, lorsqu’en me retournant, je vis à l’ouest l’énorme masse du Vignemale, isolé de toutes parts, entièrement blanc, et soulevant audacieusement toutes ses neiges jusqu’au nues, comme s’il allait bondir dans un autre monde. C’était vraiment d’une écrasante magnificence, d’une majesté suprême, et dans les Pyrénées, je n’ai jamais rien vu d’aussi grandiose et d’aussi blanc, ni sur les Monts-Maudits, ni sur le Mont-Perdu.
Comte Henry Russel, 1887
Arrivé au niveau du lac vers 16h, je suis seul sur le site, ce qui me permet de choisir un bel emplacement pour mon bivouac.


Au fil de la soirée, je serais rejoint par 3 ou 4 petits groupes de randonneurs qui monteront eux-aussi leurs tentes. Je profiterais longuement de la vue qui change peu à peu avec le soleil couchant. Vers 19h intervient un ballet d’hélicoptère qui tourne longuement autour du glacier, puis s’y tient en vol stationnaire, très probablement pour évacuer un alpiniste en mauvaise posture à cette heure tardive. Une belle journée encore, avec 20km et 1200m de D+ au compteur. Profitant de la nuit de nouvelle lune, je resterais longtemps éveillé, vers 2h du matin, pour admirer la voie lactée dans toute sa splendeur… et constater que chaque année, le nombre de satellites qui défilents devant les étoiles est en constante augmentation.
J4 – retour lac des Gentianes – Gavarnie
Une dernière photo du Vignemale vers 6h, au petit matin, avant que la batterie de mon portable ne rende l’âme. La redescente du lac des gentianes vers le GR10 se fera dans la solitude, et sans prises de vue. Le parcours est très minéral et il faut parfois être attentif pour trouver la bonne trace. Arrivé au GR10, j’y retrouve la « foule ». Tout est relatif, mais les assez nombreux groupes de randonneurs que je croise sur le GR10 contraste avec ma solitude quasi absolue des trois derniers jours. Je profite de la redescente de la vallée d’Ossoue sous un beau ciel bleu, décrouvrant tous les paysages qui m’avaient échappés le 1er jour. Je rejoins mon véhicule vers 11h du matin… et il ne me restera plus à faire qu’une douzaine d’heures de conduite pour rejoindre la Bretagne.


References
↑1 | Document d’objectifs du réseau Natura 2000 de la zone spéciale de conservation d’Ossoue |
---|---|
↑2 | P.B. Richard, A. Vallette Viallard, Le desman des Pyrénées (Galemys pyrenaicus) premières notes sur sa biologie, 1969 |
↑3 | Henry Russell, Souvenirs d’un montagnard, 1878 |
↑4 | Édouard Wallon, Pyrénées Centrales Panorama général circulaire pris du sommet du pic Ardiden |