A l’occasion de la journée internationale célébrant les femmes scientifiques (#WomenInScience), je partage une petite biographie que j’ai rédigée sur une femme chimiste, moins connue que Marie Curie, mais qui a mené une vie entièrement dévouée à la science… à une époque qui, encore moins qu’aujourd’hui, donnait les mêmes chances aux femmes qu’aux hommes.
L’histoire commence le 25 Aout 1884, avec la naissance de Nathalie Filatoff à Savenkovo, en Russie. Son père Wladimir Filatoff est un petit noble (gentilhomme héréditaire), et sa mère Marie Guelariev est d’origine Franco-Polonaise : son père Guelary Gebrovsky (Hilaire Żebrowski) est Polonais, sa mère Adeline Louvier de Balmont est Française. Agée, Nathalie Filatoff se souvient que sa famille « passait une partie de l’année dans le midi (Nice, Menton) », chez leurs grands-parents Louvier de Balmont.
En 1901, Nathalie Filatoff émigre à Paris avec ses parents et son frère Vsevolod, qui retournera par la suite en Russie pour participer à la révlution. Elle étudie pendant l’année scolaire 1902-1903 à l’école pratique des hautes études, section des sciences philologiques et historiques. Le 2 Aout 1909, Nathalie Filatoff obtient un certificat d’études supérieures en minéralogie à la Sorbonne (il y avait 4 femmes sur 37 reçus).
Elle rencontre au cours de ses études Louis Demassieux avec lequel elle se marie le 26 Aout 1909.
Louis Demassieux est Professeur de chimie à Cassel puis à Lille, mais, comme tant d’autres hommes de cette génération, il est tué le 24 Aout 1914 devant Noërs lors de la bataille des frontières (près de Longuyon).
Nathalie Demassieux a perdu pendant la guerre son mari et ses deux beaux-frères, ainsi qu’un camarade de laboratoire, père d’un filleul dont elle a assuré l’éducation jusqu’à son doctorat en droit en 1934. De 1916 à 1919 elle est préparateur auxiliaire de l’enseignement des certificats de chimie minérale et chimie appliquée.
De 1919 à 1923, elle est professeur de chimie à l’école d’enseignement technique féminin.
L’école d’enseignement technique féminin, créée en 1917, préparait les femmes aux carrières de dessinatrices industrielles, de secrétaires techniques, de chimistes, de calculatrices, d’employées de bureaux d’étude et de laboratoires industriels. L’enseignement dure deux ans, et comprend le dessin industriel, les éléments nécessaires de mathématiques et de mécanique, la chimie, la physique et la technologie, des travaux pratiques aux laboratoires, la sténodactylographie et les langues vivantes.
Nathalie Demassieux a débuté avant la guerre de 1914-1918 une thèse sur les équilibres entre les sels halogènes de plomb et les métaux alcalins dans le laboratoire de M. Léon Ouvrard. Ayant dû abandonner ses expériences pendant la guerre, elle reprend son travail de thèse après la guerre. Elle soutient le 12 Juin 1923 à la Faculté des sciences de l’Université de Paris sa thèse de docteur ès sciences physiques. Le jury –prestigieux– est composé de Georges Urbain, Jean Perrin et Victor Auger.
Nathalie Demassieux s’engage comme féministe, et dans des activités de vulgarisation : ainsi, elle donne en 1923 une conférence sur Pasteur lors de l’assemblée générale de la Ligue pour le Droit des Femmes.
En 1926, la faculté des sciences la place sur liste d’aptitude pour être maître de conférence. C’est une première pour une femme, et les journaux de l’époque rapportent cette nomination de manière plutôt acide :
La faculté des sciences n’a pas eu peur d’une exception si novatrice, et elle n’a pas craint de créer ce fameux précédent, le fameux précédent… auquel le comité consultatif de l’enseignement supérieur a d’ailleurs cru devoir récemment donner suite en inscrivant sur la liste d’aptitude Mme Demassieux, pour la chimie, à la faculté des Sciences, décidément rédiviste.
Paris-soir, 27 mai 1926
En 1928 elle reçoit un prix de chimie de l’Académie des sciences.
Elle est membre de l’association française pour l’avancement de la science. Elle devient alors maitre de conférences à la faculté des sciences de l’université de Caen. Elle a mené des recherches tout au long de sa vie et, de 1913 à 1959, a publié plus de 30 articles et notes. Elle a encadré 14 doctorants (dont 4 doctorantes).
Rapellons qu’en 1938, il n’y avait encore que trois femmes enseignant dans les facultés en France : Irène Joliot Curie, Pauline Ramart qui a occupé la chaire de chimie organique à la faculté des sciences de Paris de 1935 à sa mort en 1953 et… Nathalie Demassieux.
Très attachée au laboratoire de la Sorbonne où elle a passé la plus grande partie de sa vie, elle lui lègue en 1959 la quasi totalité de ses biens ce qui a permis la création du Prix « Nathalie Demassieux », prix qui est toujours décerné. Son testament est accompagné d’une magnifique lettre, dont je reproduis le contenu.
Je regrette de ne pouvoir faire davantage pour les laboratoires de la Sorbonne où j’ai passé la plus grande partie de ma vie. Je fais ce geste pour manifester la profonde admiration devant l’esprit libre que j’ai rencontré à l’Université de Paris et ma reconnaissance aux maitres malheureusement disparus Mr P. Apfell, Mr. L. Ouvrard, Mr H. Le Chatelier, Mr G. Urbain qui ont bien voulu m’apporter leur appui moral pendant la guerre de 14-18. Je crois fermement que l’épreuve terrible que nous traversons actuellement va se terminer et que le glorieux nom de la Sorbonne brillera à travers le monde comme synonyme de la liberté de la pensée et de la conscience.
Testament de Nathalie Demassieux, archives familiales
Nathalie Demassieux est décédée le 19 mai 1961 et repose au Cimetière du Père Lachaise.
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