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Le domaine Sainte-Marguerite à Boufarik

Cette monographie a été écrite dans les années 60 par la petite fille de Ferdinand Delauzun, employé du domaine à partir de 1896. Elle a initialement été édité publié sur Internet par Apure Yvorra sur le site internet aujourd’hui disparu de Bertrand Bouret. J’ai donc utilisé ce fabuleux outil qu’est Internet Archive pour le récupérer (voir archive). Après mise en forme, j’y ai ajouté les illustrations du domaine que je possédais, issues en grande partie des archives familiales. J’ai aussi récupéré le plan du domaine Sainte-Marguerite réalisé de mémoire par Apure Yvorra et je l’ai redessiné à l’échelle en m’appuyant sur la photo aérienne actuelle du domaine disponible via Google Maps.

Plan de la Ferme de Sainte Marguerite (4km au Sud-Est de Boufarik)

Les photos ci-dessous sont, sauf exceptions indiquées, des photos tirés d’album de famille. Leur localisation apparaît via un petit pictogramme bleu dans le plan ci-dessus.


_ 1 bâtiment « engrais », deux maisons au fond, vus vers l’ouest depuis la route de Boufarik (source familiale, vers 1930)
_ 2 cour de Madrid (source familiale, vers 1930)
_ 3 à g. la forge (1er plan), la minoterie et la cheminée. À d. le verger expérimental. Vue vers l’Est prise depuis le château d’eau (source familiale, vers 1930)_ 4 maisons de logement. Vue vers le sud prise depuis le château d’eau (source familiale, vers 1930)
_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, façade Nord de la nouvelle usine et sa cheminée (Source Chiris, photo ancienne)_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, façade Nord de la nouvelle usine (Source Chiris, photo ancienne)
_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, façade Nord de l’usine et sa cheminée (source familiale, vers 1930)_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, intérieur de l’usine (source familiale, vers 1930)
_ 6 Les bureaux et les façades Nord et Ouest de l’usine, vue vers l’Est (source familiale, vers 1930) _ 7 Cour de l’usine, vue vers le Sud (source familiale, vers 1930)
_ 8 Ferme Sainte-Marguerite sous la neige, façade Sud (source familiale)9- Orangerie du domaine de Sainte-Marguerite, au loin vers le Sud, les montagnes de Chréa sous la neige (source familiale)

Avant-propos de Apure Ivorra

La « Monographie du Domaine Sainte Marguerite » est, j’en suis certain pratiquement impossible à localiser car il s’agit de vingt-deux feuilles A4 dactylographiées et n’a jamais été édité. Il a été rédigé aux alentours des années soixante par la fille de Monsieur Delauzun qui était comme, chaque boufarikois le sait, instituteur à l’école Jean Louis Pages. … C’est un témoignage exceptionnel. Il est en ma possession depuis plus de trente ans et m’a été facilité en son temps par ma cousine Josette Ivorra qui habitait la ferme Chiris (Domaine Sainte Marguerite) et la Cour de Madrid pour plus de précision

Monographie du domaine Sainte-Marguerite

Rédigé par la fille de Mr. Delauzun instituteur du Cours Moyen de 2ème année de l’école primaire publique Jean Louis Pagès de Boufarik aux alentours de 1960

Introduction

Dans les mémoires du Colonel Trumelet 1887[1]Bou-Farik : une page de l’histoire de la colonisation algérienne, Corneille Trumelet, Source Gallica sur une page d’histoire de la colonisation algérienne on trouve en avant-propos :

« Boufarik, disons-nous, est non seulement un exemple, mais une promesse pour les colons de l’avenir ».

« Sept années de guerre, de combats incessants, d’alertes, de nuits éclairées par les sinistres de « l’incendie » ou par les éclairs de la poudre ».

« Ces premiers et intrépides colons menèrent cette existence fiévreuse, tourmentée où chaque jour sera trop souvent le dernier pour quelques uns d’entre eux ».

« Puis viendra la période des misères sans gloire : après la guerre avec le fusil ce sera la guerre avec le sol, terrassés par la maladie, tremblants de fièvre, ces héros lutteront et ne céderont pas ».

En 1830, parmi les onze « outhans » ou districts du gouverne­ment d’Alger, l’outhan des Beni Khélil comprenait trois divisions dont l’une, le quartier de Boufarik située au centre de la vaste plaine de la Mitidja, se divisait en 3 cantons : El Merdjia : marais, El Hamada : partie élevée et sèche, et El Outha : la plaine proprement dite.

El Outha était comprise, entre la route Alger Blida et l’oued Harrach.

Parmi les 21 principaux centres de population de El Outha ; les Haouch Soukaly, Ech Cheurfa et les moins importants Haouch Rhylen, Macouma, Bouceta, Ben Meda, nous intéressent particulièrement comme étant les bases du domaine actuel de Sainte Marguerite.

Le domaine propriété de monsieur Chiris, situé à l’Est de Boufarik est devenu un joyau de la Mitidja grâce aux compétences de monsieur GROS Polycarpe, un des premiers maires de Boufarik. Remplacé en 1900 par monsieur Guizard, Maire et Conseiller général de Boufarik décoré de la Légion d’Honneur il continua l’œuvre de monsieur Gros; mais malade il fut, lui même remplacé par monsieur Paulian Jules, ancien élève de Grignon de l’école nationale d’agri­culture, fondateur et animateur de la Vinicoop, de la Coopérative des Agrumes et autres associations. Il laissa en 1940 la succession à ses fils : monsieur Paulian Gilbert, sorti des Hautes Études Commerciales­ de Paris, aujourd’hui décoré de la légion d’honneur et Sé­nateur, et monsieur Paulian Guillaume ancien élève de l’école d’agri­culture d’Alger.

Nous nous proposons d’étudier l’histoire de cette ferme en insistant sur son évolution géographique et sociale.

1866 – 1898

En 1866, monsieur Gros, venu du Vaucluse, parfumeur distillateur à Boufarik achète à madame veuve Sysvestre une parcelle de terre de 50 hectares environ au lieu-dit Rhylen, qui devait être l’origine de la propriété actuelle.

En 1868, monsieur Gros s’associe avec messieurs Chiris frères, manufacturiers à Grâce et leur cède sa raison sociale tout en restant leur associé sous la raison sociale d’Antoine Chiris.

Cette association permit à monsieur Gros d’agrandir la propriété en achetant des terrains provenant des Haouch El-Kali et de El-Bahli et des terrains du contrefort montagneux situés sur les anciennes tribus des Beni Micera et Beni Kina, plus tard les Haouch Ben Meda Bouceta et Massouma.

A cette époque, seules quelques parcelles avaient été défrichées, tout le reste était encore couvert de broussailles.

Les défrichements continuèrent et il fallut avant tout assainir les terrains marécageux. Pour cela on implante une importante forêt d’eucalyptus ; 200 hectares de ces arbres en montagne et en plaine asséchèrent les terres, aidés par un grand canal de dessèchement de 3 m de profondeur sur 3 m de large; de plus un syndicat de l’oued Bou Chemla, créé à Souma, réglementa la répartition des eaux abondantes, grâce à des canaux d’irrigation.

Canal d’assèchement près de Boufarik (source familiale, vers 1930)
Plantation d’Eucalyptus sur la route de Boufarik (source familiale, vers 1930)

En 1887 il existait en outre sur le domaine 2 vastes réservoirs d’eau et cinq norias, dont trois marchaient à la vapeur.

Réservoir d’eau près de la ferme Sainte-Marguerite (source familiale, vers 1930)

A cette époque les cultures se répartissaient à peu près ainsi :

Les cultures vivrières

  • 250 hectares de céréales et fourrages
  • 200 hectares de vigne
  • 40 hectares d’orangerie
  • 20 hectares de caroubiers et oliviers

Les cultures industrielles

  • 200 hectares d’eucalyptus
  • 20 hectares de casilliers ou acacias oleaphila et farnesiana
  • 30 hectares de géranium   Rosat
  • des essais de verveine
  • et autres plantes à parfums : roses tubéreuses et jasmin

L’élevage

L’élevage était important et le bétail réparti sur les différentes parcelles qui composaient le domaine à cette époque, mais surtout à Bali où le pacage dans les broussailles était plus facile.

Bœufs sur la route de Boufarik, ferme de Sainte-Marguerite (photo familiale)

On distingua :

  • le bétail de travail
    • 300 bœufs environ
    • 100 chevaux environ
    • 100 bardots et mulets
  • le bétail d’élevage
  • des porcs, des moutons pour la vente des agneaux.
Bœufs au travail, domaine de Sainte-Marguerite (photo familiale)

A partir de 1869 les bâtiments de la ferme se construisirent :

  • maison de maître
  • cour avec logements du personnel
  • écuries
  • une première usine munie de 4 générateurs à vapeur, de 28 appareils de distillation et de laboratoires pour pommades et huiles parfumées qui permettaient la fabrication de pommades et huiles et la distillation de :
    • la casse
    • du géranium
    • de la fleur d’oranger bigaradier
    • et d’autres plantes comme la menthe pouillot que l’on trouve dans les champs à l’état sauvage, les feuilles d’eucalyptus et la verveine.
  • des magasins de stockage et d’outils
  • des ateliers de forge, menuiserie, tonnellerie, sellerie, pour l’ entretien du matériel agricole composé de charrues, herses, rouleaux, brise mottes, moissonneuses lieuses, chariots, tombereaux tirés par des bœufs et des chevaux.
  • une boulangerie
  • une cantine pour le personnel célibataire
  • une cave en rapport avec le nombre d’hectares de vigne cultivés, fut construite en sous-sols. Y étaient installés, 37 foudres de chêne de 300 à 400 hectolitres de vin chacun.
  • 1 cuverie de 6 cuves à fermentation
  • 1 fouloir à vapeur et 1 pressoir à main, complétaient l’installation de cette cave.

Cet ensemble d’habitations comme le montre le plan ci-joint formait un immense rectangle de 350 m sur 180 m, ne comportant que très peu d’ouvertures vers l’extérieur, et protégé par deux blockhaus en diagonale est Ouest. Ceci s’explique par les difficultés qu’ont rencontrés les premiers colons de la Mitidja mal acceptés, moins par les indigènes, que par leurs chefs civils et religieux.

Plan du domaine Chiris, établi de mémoire par Apure Yvorra

Le personnel se composait d’indigènes, c’est-à-dire de musulmans au nombre de 300 environ qui habitaient aux alentours dans des gourbis en terre battue, d’ européens espagnols venus des régions pauvres de la province d’ Alicante (Callosa) dont certains ont fait souche et dont les descendants forment, de nos jours, l’armature de la maîtrise de la ferme : Ivorra, Martinez, Briones, Sanchis et de Français, anciens militaires de cavalerie et d’ infanterie du Camp d’Erlon (Boufarik) célibataires en majorité, installés au domaine même.

A tous ces ouvriers sédentaires venaient s’ajouter les trimardeurs qui suivaient l’armée de colonisation. Les livres de paie des années 1882 et 1885 accusaient déjà 400 à 500 ouvriers selon les mois de gros travail. L’habitat était confortable. A la cantine on servait des repas aux célibataires. Le travail durait du lever au coucher du soleil. Une demi-journée de repos était accordée aux ouvriers tous les quinze jours après la paie, demi-journée qui permettait de se rendra à Boufarik ou de se réunir pour jouer aux cartes ou aux boules.

1898 – 1908

Jusqu’en 1896 les conditions de vie ne cessent pas de s’améliorer et les rendements deviennent supérieurs. Les vignes s’étendent davantage et commencent à avoir un rendement intéressant.

Amandier en fleur dans un champs de vignes, domaine de Sainte-Marguerite (Photo de famille, 1899)

L’usine à parfums est devenue insuffisante ; c’est pourquoi en 1893 a été entreprise la construction d’une nouvelle usine. C’est en 1896 que cette nouvelle usine fut terminée.

C’est en 1896 qu’arriva au domaine, mon grand-père Ferdinand Delauzun né à Largentière en Ardèche. Cinquième enfant de Charles Delauzun et Clémentine Rigaud, élève du grand séminaire d’Aubenas, subjugué par cette Afrique du nord qu’avait connu son père lors des évènements de 1848, il vint servir dans les zouaves en Algérie. La Loi Combes, au plutôt les prémices de la Loi Combes, le détournèrent du sacerdoce enseignant ; il put ensuite par relation, entrer aux établissements Chiris.

En 1897 arriva monsieur Paulian père. La collaboration des deux hommes se continuera jusqu’en 1940. Mon grand-père collabora alors avec les fils, comme il avait collaboré avec le père, jusqu’en 1953 date à laquelle il prit sa retraite au domaine même dont il suit encore, attendri, la marche.

Jules Paulian et son épouse Suzanne Trocquemé, (Photo de famille, vers 1899)
Jules Paulian en cariole avec son épouse Suzanne Trocquemé, et leur fille Madeleine née au domaine Sainte-Marguerite (Photo de famille, 1902)

A partir de 1896 je n’écrirai que selon les dires de mon grand-père, sa clairvoyance, aujourd’hui âgé de 88 ans, ne désespère pas d’un domaine toujours plus beau… Il a collaboré avec monsieur Gros, monsieur Guizard, monsieur Paulian père, messieurs Paulian frères. Il est à l’heure actuelle le vétéran du domaine, respecté et encore consulté.

Nous nous devons de donner des précisions sur cette nouvelle usine construite en 1896 et qui aujourd’hui encore, fait l’orgueil de la région.

_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, façade Nord de l’usine et sa cheminée (source familiale, vers 1930)
_ 5 Ferme Sainte-Marguerite, intérieur de l’usine (source familiale, vers 1930)

C’est un vaste ensemble de 95 m de long sur 60 m de large et 20 m de hauteur, à toiture supérieure verrée avec un magnifique lanterneau, suivi d’une cheminée de tirage, pour 20 chaudières, de 35 m de hauteur.

Un hall central de 70 m sur 35 m, tout monté sur charpente métallique donne une impression de finesse et d’art. Sur la face avant se tiennent au rez-de-chaussée, les salles d’archives et au sous-sol les dépôts d’essence à parfums.

L’intérieur comprend au fond 5 grandes chaudières Babcok et Wilcox de 100 m2 chacune de chauffe qui alimentent 30 appareils de distillation en cuivre rouge, répartis de chaque côté de l’usine par 3 groupes de 5 appareils ayant une contenance de 2000 litres chacun, munis de réfrigérants aériens et de condensateur à eau. Le produit est reçu par les essenciers qui séparent l’essence de l’eau de distillation. Une ligne de wagonnets sur rail avec treuil basculant pour chaque appareil apporte aux fosses à fumier les résidus de distillation, résidus qui chaulés donnent après un an de repos un humus apprécié.

L’usine comprend d’autre part une machine à vapeur Piquet de 30 chevaux vapeur, qui alimente 2 dynamos génératrices d’une puissance de 22 kilowatts en 110 volts, et 60 éléments de batterie d’accumulateurs pour l’éclairage des dépendances pendant la nuit, l’usine est éclairée par des lampes à arcs.

Le jour ces génératrices alimentent la cave et les ateliers. Écuries et cave sont éclairées par des lampes à incandescence. Il est bien entendu que ces dynamos génératrices fournissent du courant continu et qu’à cette époque, peu de gens connaissaient l’éclairage électrique.

Une usine annexe est construite sur le même style pour la concentration de certaines essences : cassis, roses, par système de distillation à vide dans la benzine à moins 2 atmosphères, et d’évaporation de la benzine dans le vide donnant des parfums naturels : P.N. séparant la benzine de l’essence connue sous le nom de « concrète ».

Voici quelques exemples :

  • les fleurs d’ orangers bigarades : étalées pendant 10 à 15 heures sur une épaisseur de 8 cm à peu près pour empêcher l’échauffement, bouillies pendant 8 heures en coulées dans un appareil de distillation de 500 kg de fleurs de contenance, donnant deux produits:
    • le néroli bigarade
    • et l’eau de fleurs d’oranger des pharmaciens.
  • le géranium : 500 kg coulés pendant 3 heures ou 4 donnent 500 grammes d’essence.
  • l’eucalyptus : la distillation est très rapide.
  • les feuilles de bigaradiers non greffés : 500 kg coulés pendant 5 heures donnent: 500 grammes d’essence de bigaradier.

Les parfums naturels désignés sous le nom de « concrète » sont des produits riches.

Distillation du géranium rosat, établissements Chiris à Boufarik (Photo Parfums de France)

Pendant les années 1896-1898 la vie au domaine s’est animée grâce aux constructeurs : maçons venus d’une entreprise de Boufarik, ouvriers spécialisés en charpente métallique de Lille, chaudronniers de Lunéville.

Le désir d’un bien-être futur s’accroît. Les places de maîtrise s’occupent : chauffeurs spécialisés, distillateurs, chaudronniers, électricien, chefs de cultures, maîtres d’ateliers.

Le domaine se peuple de familles venues de France et d’Espagne. Viennent de France aussi des célibataires venus des usines françaises. La cantine s’anime.

Les habitations deviennent insuffisantes et l’on pense à créer de nouvelles habitations pour les familles plus nombreuses. De ce nouveau groupe d’arrivants certains ont fait souche. Ce sont Gaudry, chaudronnier venu de Lunéville, Delauzun, Paulian, Grandmottet venu de l’Est et un des premiers français de Douéra, chef de forge, Pouget, attaché à la distillerie, Rabaste, dont le père fut un des premiers conseillers municipaux de Boufarik, Coustelin caviste, Denier au service des eaux, Journaud au service du cheptel vif, Rousselot, breton cambusier de marine à la cantine, Carle, Petit-Pierre et Petit-Paul anciens de la cavalerie montée étaient palefreniers.

A leur arrivée sur le domaine tous ces jeunes étaient célibataires.

Les familles sont plutôt d’origine espagnole. Les anciennes ; Martinez, Ivorra, les nouvelles arrivées, Serra, Timoner, Galvan, Perez, Barber, Paregno, Ripoll.

La vie est toujours la même au domaine, le travail s’effectue du lever au coucher du soleil mais s’organise et les équipes de nuit se forment pendant la distillation et pendant la période de vinification.

Les femmes et les jeunes filles travaillaient à la cueillette des roses, à l’effeuillage de la verveine, faisaient les boutures de géranium, cousaient des sacs de toile de jute pour enfermer la verveine sèche, réparaient les toiles nécessaires à la récolte de la fleur d’oranger bigarade.

La main d’œuvre indigène s’améliore. Les maîtres charretiers sont d’anciens propriétaires des fermes achetées telles que Bouceta, Ben Meda, Ali Kadda, Boualem Kadda, El Hadh, Sidi Mahfoud.

Cependant les premiers kabyles arrivent ; beaucoup viennent de la région de Mekla et des sommets de Fort National. Hommes de la montagne ils se montrent aptes à tous les travaux et durs à l’ouvrage. Ils ne forment cependant qu’une main d’œuvre saisonnière, ce sont : Le Blanco, Ben Cheik dont le père menait en 1871 les rebelles de Palestro, Mohand Said, Boussaad Méziane partis tous retraités du domaine, où les enfants demeurent encore. Les kabyles seront maîtres dans la plantation d’arbres fruitiers et la taille des vignes, faucheurs, plus tard maîtres d’écurie.

Les tribus limitrophes vers le Sud-est : Bahli, Alotya, Grabah, fournissent la main d’œuvre pour l’élevage et le travail de défrichement en montagne.

Les centres d’habitations sur le domaine se répartissent ainsi :

  • ferme de Bahli à 4 km de Sainte Marguerite : 6 familles européennes.
  • la « Petite Ferme » : 10 familles espagnoles qui ont dénommé ce lieu, fermette de la « Malvarrosa » (de la rose trémière).
  • Sainte Marguerite « Cour de Madrid » : 20 familles.
  • La Kabylie et Sidi Mahfoud à 100 mètres : 15 familles européennes.
  • Souk Ali : 8 familles
  • A Sidi Mahfoud une tribu de 50 à 60 familles groupées autour du Marabout et du puits forme l’élément indigène propre du domaine.
Ferme de Bahly – Champs de Jasmin (photo familiale vers 1910)

En 1898 l’agriculture du domaine s’affirme :

  • 40 hectares d’orangers bigarades
  • 218 hectares de géranium
  • 40 hectares de casiers
  • 200 hectares d’eucalyptus
  • 305 hectares de vigne
  • 138 hectares d’orangerie.

Le reste des terres,180 hectares, forment les terres de culture des céréales, fourrages luzerne, et quelques parcelles de défrichement, en partie pour la vente, en partie pour l’élevage d’un bétail constitué par :

  • 250 bovins environ
  • 100 chevaux et mulets
  • 100 ovins
  • quelques porcs (près d’une centaine).

Le matériel se modernise ; des locomobiles à vapeur font tourner les premières batteuses, actionnant les norias, et aident pour l’irrigation des orangeries, géraniums, luzerne.

400 à 500 ouvriers sont employés au domaine. En période de grands travaux : ramassage de la fleur, vendanges leur nombre augmente jusqu’à 800.

Monsieur Borélie La Sapie avait construit un domaine superbe planté d’orangeries, asséché en sous-sol et irrigué d’une façon parfaite. Premier maire de Boufarik monsieur Borelie La Sapie fut un des premiers colons à s’être rendu compte de l’importante du développement agricole de cette région. Mais vieilli, usé par des ennuis de famille, il s’est suicidé. Un an après sa mort une partie des terrains reviennent à la maison Chiris. Le domaine s’agrandit donc d’une parcelle de 150 hectares environ et déjà en plein rendementSoukaly.

Récolte des oranges sur le domaine Sainte-Marguerite (photo familiale)

Les cultures s’organisent. En 1900 monsieur Gros cède la direction du domaine à monsieur Guizard venu de l’Ariège. Dur au travail, mais juste pour tous, il va continuer l’œuvre de son prédécesseur. C’est ainsi que la distillerie bat son plein. Les vignes vieillissent et le rendement augmente toujours ; la cave devient insuffisante. D’autre part beaucoup de jeunes se sont mariés et il faut agrandir l’habitat. On transforme la cour 4 appelée désormais « Cour de Madrid ». La vieille usine est désaffectée, sa façade est démolie pour construire d’une part un magasin avec au premier étage un logement de 8 pièces, d’autre part deux logements de 4 pièces au rez de chaussée et deux logements de 4 pièces au premier étage.

Cour de Madrid, domaine Sainte-Marguerite (photo familiale 1900)

La partie Nord est transformée en 6 logements identiques : une grande salle à manger cuisines au rez-de-chaussée de 6 mètres sur 8, avec grand placard ; au premier, 2 pièces planchéesLa cour nº1 devenue cour de l’ancienne usine ou cour des voitures, nombreuses alors : voitures de maîtres, calèches, coupés, landaus, phaétons, ainsi que breaks, charrettes, tombereaux char à banc, fourragères, haquets, triqueballe, s’abritent à la place de l’ancienne distillerie. Les bureaux sont transférés à la nouvelle usine et aménagés en logements. Le dessus des laboratoires devenus magasins, devient chambres de garçons. La cour nº 2, cour des mulets, voit son four supprimé et transformé en logement.

Charrettes au pied du gros platane derrière la cour, ferme de Ste Marguerite (photo familiale 1901)

Dans la cour 5 on commence la nouvelle cave qui comprend :

  • une cuverie de conservation au sous-sol
  • une cuve à fermentation au rez-de-chaussée

La série des foudres est encore conservée. On installe des pressoirs et fouloirs modernes. L’usine électrique du domaine alimente les dynamos motrices faisant marcher le tout, quoique aidées par une locomobile à vapeur en période de grosses vendanges. Le domaine s’enrichit du point de vue agricole, mais il faut conserver une main de fer dans la note des dépenses ; en effet si les produits agricoles augmentent l’écoulement en est difficile, les prix sont très bas.

La vie du personnel s’améliore cependant, non seulement du point de vue de l’habitat, mais aussi du point de vue travail, un dimanche sur deux est accordé pour le repos des ouvriers.

Européens et musulmans sympathisent et célèbres les mêmes fêtes ; aux mariages et baptêmes musulmans de la tribu des Sidi Mahfoud, les européens de Sainte Marguerite sont invités à participer au couscous traditionnel de nuit.

Tous les matins une voiture hippomobile se rend à Boufarik pour les commissions du personnel.

Les enfants d’âge scolaire, 7 à 8 européens se rendent en classe à Boufarik à pieds – 4 km – Ils emportent le matin leur déjeuner dans le « cabas » et s’en reviennent le soir

1900 – 1908

La propriété se transforme en un véritable jardin, les routes sont précisées et délimitent les pièces portées sur les cartes avec leur numéro d’ordre et leur contenance en hectares, ares, centiares.

Les assolements prennent un sens.

Les fourrages verts se sélectionnent : début des trèfles d’Alexandrie pour les bœufs

Culture du maïs en vert pour l’ensilage ; une couche de maïs, du sel gros, une couche de pousse d’avoine, d’orge, une couche de sel et ainsi de suite, le tout recouvert de planches jointes, de grosses pierres et sable pour tasser et tenir à l’abri de l’air : nourriture qui en hiver servira aux bovins (nourriture riche et recherchée) elle est désignée communément sur le domaine sous le nom de « choucroute ».

Les fourrages, vesce, avoine luzerne séchée sont bottelés et mis en meules, couvertes de « diss » provenant des parties montagneuses encore en broussailles.

1908 – 1920

C’est à cette époque que commence la mévente des vins. Debonno, un autre grand colonisateur s’était lancé sur des terres neuves, fraîchement défrichées et assainies, dans la plantation de la vigne ; devant cette mévente prolongée la banque qui lui avait permis d’investir tant de capitaux, le lâcha brusquement. C’est ainsi que cet homme, d’une très grande valeur, vit ses terres vendues et dut partir.

Le domaine alors acheta Rhylen, 120 hectares de vignes avec habitation et écurie, à l’Ouest de Sainte Marguerite, et l’Haouch Omar, 450 hectares attenant à Soukaly, au Nord-est de Sainte Marguerite avec cave, habitation et écurie.

Le personnel de maîtrise de ces fermes étaient d’anciens colons de la première heure : Trapp à Rhylen, les frères Salord à l’Haouch Omar.

Voici donc le domaine installé sur 2 200 ha d’un seul tenant 15 km de long, route ferrée d’un bout à l’autre, donnant accès aux routes départementales Bouinan – Blida, Bouinan – Boufarik, Chebli – Boufarik, un réseau routier énorme et bien entretenu donne accès à toutes les grandes pièces, de superbes haies de cyprès protègent les orangeries ; les platanes, eucalyptus, palmiers et faux cocotiers, bordant les allées principales, grandissent.

9- Orangerie du domaine de Sainte-Marguerite, palmiers, eucalyptus (source familiale)

Les plantations d’eucalyptus forment de véritables forêts, oliviers et caroubiers cultivés font une véritable culture en montagne. Dans les parties marécageuses : les saules et les roseaux fournissent les vanneries. Les trembles sur les bords des canaux apportent un peu d’ombre et ajoutent au paysage une note spéciale.

Le dur labeur des hommes continue, les femmes ont de l’emploi pendant 4 ou 5 mois de l’année. Les ménages sont plus nombreux, le nombre de célibataires diminue.

1910 – 1911

Le phylloxera fait son apparition dans les vignes. Les vins se vendent bien mais les vignobles diminuent ; les arrachages commencent.

1914- 1918

La guerre ; tout le personnel est mobilisé. Les européens hors d’âge s’accrochent au travail, un ancien espagnol du domaine, part en Espagne et ramène quelques familles qui installées font désormais partie de la grande famille du domaine Lopez, Castillo, Ségui, Llopis, qui fournirent des Français combattants en 1939.

Sous la haute direction de monsieur Guizard, la vie intérieure s’organise.

Le domaine prend en charge les familles des mobilisés et paye une partie du salaire, chaque soldat reçoit régulièrement son colis, les vieilles classes mobilisées non combattantes bénéficient de nombreuses permissions agricoles. Le lien entre le personnel et le domaine s’accentue. Les indigènes jouissant des mêmes droits que les européens, se groupent de plus en plus sur la tribu du domaine

Les anciens musulmans prennent la relève dans la maîtrise européenne et par leurs efforts apportent un précieux concours.

La guerre est terminée chacun reprend sa place, toutes les vignes sont arrachées et la nouvelle plantation recommence durant les années 1919 – 1920.

1920 – 1961

En 1920 monsieur Guizard fatigué par ces 6 dernières années de travail, tant sur le domaine qu’à la direction de la mairie de Boufarik, dont il était Maire se retire et cède la place à monsieur Paulian Jules.

Cet élève de Grignon, depuis déjà 33 ans sur le domaine et père de 6 enfants tous nés sur le domaine, va remettre la propriété en marche tant en cultures appropriées à la nouvelle époque, qu’en œuvre humaine et sociale.

Jules Paulian et son épouse Suzanne Trocquemé avec leurs six enfants et petits enfants Astiers, Algérie, vers 1925

La vie sur le domaine, ses contacts étroits avec le personnel rapports journaliers avec les gens de maîtrise chaque soir sa connaissance parfaite de chaque famille, seront le début du développement social de la ferme.

Les vieux employés du domaine vont pouvoir bénéficier d’une retraite   mensualités, logement et avantages en nature – français, espagnols, musulmans ont les mêmes jouissances. Un docteur attaché au domaine vient 2 fois par semaine pour visites : tant en consultations sur place que visites a domicile ; les médicaments d’usage sont payés par le domaine.

Les frais de naissance, de décès, de funérailles sont à la charge du domaine.

L’électricité commerciale (courant alternatif) est installée. Tout est électrifié, le personnel jouit de l’éclairage électrique gratuitement.

La vie sociale est meilleure le « vélo » a gagné les jeunes et les moins jeunes. La ville est de ce fait plus proche. Les musulmans commencent aux ateliers, à la distillerie, à la cave, à apprendre leur métier qui les mènera dans quelques années à une place d’ouvrier à côté des européens.

Par les plans on peut suivre l’évolution des cultures : L’industrie chimique allemande par les parfums synthétiques porte un coup aux parfums naturels. On arrache les cassiers, on diminue les surfaces de géranium, la rose est supprimée. Des grandes essences de base seul le néroli bigarade tient la côte. Le reste du domaine s’améliore toujours, on finit de défricher, on coupe les forêts d’eucalyptus par fraction   confection de piquets de vignes. Les cyprès des haies devenus trop hauts sont coupés et remplacés, tandis que les bois débités en planches serviront sur le domaine pour tous les emplois de charronnage. Les feuilles distillées serviront pour l’élaboration de produits pharmaceutiques, de même que pour les eucalyptus.

1925

Comme depuis une vingtaine d’années, 450 à 500 ouvriers en temps creux et 1000 à 1200 en période de grands travaux sont employés, le domaine continue son œuvre sociale.

On construit des maisons en dur pour les chefs de chantiers musulmans. On refait les gourbis de la tribu, on construit 2 autres tribus une entre Bahli et Sainte Marguerite, « la Petite Ferme » et une à Soukaly.

De nouveaux puits sort forés tous munis de pompes centrifuges mues par moteur électrique, puits de 3 m de diamètre bâtis en briques, montés sur chemin métallique, mesurant de 18 à 30 m de profondeur, servent à l’irrigation de toutes les terres.

On compte alors sur le domaine, non compris Haouch Omar, douze puits dont un fournit 250 m 3 d’eau à l’heure marchant nuit et jour sans faiblir.

Le syndicat d’irrigation du Bou Chemla et les stations de pompage aux 3 collecteurs de drainage, font que la sécheresse n’a pas de prise.

A cette époque encore on crée l’infirmerie avec infirmière diplômée.

En dehors des jours de visite du médecin, l’infirmière prodigue des soins et donne des ordonnances au dispensaire tous les matins. L’après-midi elle visite les tribus en voiture et porte ses conseils et ses soins aux femmes et enfants musulmans. Les médicaments sont gratuits. Le paludisme, les maladies infantiles, maux d’yeux sont combattus.

L’hygiène pénètre dans les gourbis. La « toubiba » a droit de cité. Les gosses la suivent à travers les tribus attendant leur ration de bonbons « glycero phosphate de chaux » les frais d’hospitalisation sont supportés par le domaine.

1929

L’habitat s’agrandit. On construit un groupe de 5 villas jumelles orientées Est-Ouest, chaque groupe comprend 4 pièces dont une grande salle à manger 1 cuisine avec cuisinière, chaque pièce a son poêle « Mirus ». En façade Ouest une grande véranda. Chaque villa est indépendante entouré de grillage « Zimmerman » 160 cm de hauteur formant un rectangle de 60 m2 de jardin de fleurs sur le devant, l’arrière comporte des dépendances : buanderie, douche et poulailler ; le reste fait jardin potager. Le domaine fournit le bois, le fumier, et l’eau d’arrosage. Chaque villa a l’eau courante et l’électricité, lieu d’aisance sur tout à l’égout. Un réseau d’égouts a été installé sur près de 2 km, assez haut pour laisser passer des hommes debout pour le nettoyage.

Une grande salle de réunion pour le personnel fut construite en même temps : dimension hors tout 30 m sur 20 m. comprenant une grande salle 20 x 20 insonorisée servant de salle de cinéma, de danse, ou de fête récréative, lavabos, toilettes, pièce pour appareil de cinéma, bar d’un côté, et de l’autre bibliothèque, salle de jeu et de lecture.

Toutes ces salles sont chauffées au « Mirus ». La salle d’entrée, va servir à l’assemblée du personnel sous la présidence des directeurs et sous-directeurs ; d’emblée il sera élu un bureau comprenant un président, secrétaires, trésoriers, assesseurs ; une cotisation sera demandée à chacun. Le domaine en première installation offre le pick-up, série de disques à danser, billard russe, table de ping-pong et accessoires, jeux de dames, jacquets, jeux de cartes. La buvette est tenue par un assesseur semaine par semaine.

Les heures d’ouverture de la salle sont ainsi fixées : jeudi de 6 h à 22 h un cinéma ambulant de Boufarik (Mr.Sabatier) qui fait aussi les villages environnants, vient ce soir-là donner une représentation complète à un prix des places modique. Le domaine prenant en charge les frais d’électricité. Le personnel, tant européens que musulmans, y trouve une saine recréation ; 150 à 200 personnes y assistent.

La bibliothèque débute avec cent livres : romans, voyages, théâtre, offerts par le domaine.

Autres compétences de cette assemblée : le personnel s’organise lui-même pour les dates des congés annuels (15 jours accordés par le domaine) et établit une permanence et un service de sécurité pour les dimanches et jours fériés ; incendie, réparations d’urgence (service des eaux et d’électricité) la journée de travail est ramenée à 10 heures pour les ouvriers de la terre, 9 heures pour les ateliers. Le personnel vit mieux.

Tout près de la ferme on défonce un hectare de terre et on lotit ce terrain en lots de 500 m2 entourés de « Zimmerman », soutenu de poteaux en ciment armés ; chaque lot est attribué à tout employé de la fraction Sainte Marguerite, pour en faire un jardin potager. Chacun a son poulailler et clapier, ceci va augmenter le standard de vie de chacun : de plus une allocation mensuelle est versée pour chaque enfant et pour la femme.

Un même groupe de deux villas est construit à Rhylen, un autre groupe de 2 villas à Soukaly. Une maison de maître est construite face à l’usine pour le directeur.

Les musulmans sédentaires de la tribu Sidi Mahfoud se voient allouer des jardins comme les européens et des allocations en nature pour enfants (céréales et huile) ; quantités réparties par quinzaine à partir de 1930, une prime annuelle complémentaire au salaire et aux étrennes de fin d’année est attribuée en avril, prime jugée d’après les bénéfices du domaine et au coefficient d’importance de chacun.

La main d’œuvre technique augmente avec les premiers tracteurs. L’agriculture devient une science. Le domaine s’attache des stagiaires venant des écoles d’agriculture qui sont affectés à des études de lutte contre les insectes, sur les valeurs et rendement des engrais, sur les méthodes de vinification, ou sur l’irrigation, ainsi que l’étude des sols. Des bancs d’expérimentation sont installés, des statistiques sont suivies.

Dans la ferme on a réuni les cours 1 et 2 en supprimant les bâtiments intérieurs. Et sur la façade nord on a construit deux hangars à engrais et des logements dont un pour le chef d’écuries.

Les logements de la « Cour de Madrid » donnant dans la cour des voitures, sont élargis d’une buanderie, toilette douche au rez-de-chaussée et au premier étage d’une terrasse donnant de plein pied sur les chambres.

1930 – 1931

Nécessitant de plus en plus un personnel technique compétent dû à la motorisation du matériel agricole, tracteurs, sulfatage, transport roulant, traction de tous les instruments aratoires, et l’insuffisance de la main d’œuvre locale, font que d’anciens espagnols ayant pris connaissance de la crise que subit l’Espagne, incitent leurs parents à venir.

Une vingtaine de jeunes ménages arrivent et s’installent aussitôt. Ils sont encore tous sur le domaine. En 1939 les plus jeunes s’engagent dans la lutte pour la France, les autres seront soldats à l’âge requis.

On reconstruit à la suite d’un incendie la tribu de la « Petite Ferme» ; ce sont de vastes gourbis séparés les uns des autres par un jardin de 20 m avec foyers extérieurs. Les gourbis éloignés les uns des autres diminuent les risques d’incendie. En effet depuis cette date il n’a été signalé aucun incendie.

Cette tribu est essentiellement constituée de personnes venant des Béni Sliman de Médéa, et donne de nombreux ouvriers : les hommes pour les travaux durs et les jeunes gens et femmes pour les travaux de vigne, attache, ébourgeonnage, cueillette des fleurs, vendanges. Je dis bien les femmes parce que dans ces régions les femmes ne sont pas voilées ni cachées, ce qui facilite la vie en commun.

_ 17 Ramassage des fleurs, Boufarik (photo familiale

A cette même époque, sur les instances de monsieur Chiris, l’Haouch Omar est vendu à monsieur Douïeb. Malgré la perte d’une parcelle si riche, la vie s’organise au mieux de la technique moderne.

La vie agricole est ramenée à neuf heures de travail pour les ouvriers des ateliers. Celle des bureaux est de 8 heures. Cependant quand il est nécessaire les équipes, font 2 fois 8 heures, ou 3 fois 8 heures.

Le domaine possède 70 familles européennes et 200 familles indigènes sédentaires. Et pourtant le marasme agricole s’accentue. Le chômage dans les villes augmente, monsieur Paulian s’adressant alors au personnel lui dira de continuer à travailler, que les taux de salaire seront conservés, et que si les bénéfices ne sont pas élevés pour 1’instant, lorsque la consommation augmentera la ferme pourra rendre au maximum.

Il crée des chantiers pour les chômeurs européens des ateliers de Boufarik. Ces derniers sont payés journée entière pour cinq heures de travail, le reste de leur temps ils le consacrent à chercher du travail.

Ces travailleurs manuels furent employés, à leur grande satisfaction, dans l’agriculture et suivant leur qualité, à la réfection du domaine, bâtiments, entretien du cheptel.

1937 – 1938

Les mauvais moments disparus, un immeuble à un seul étage fut construit, il comprenait 4 appartements de 4 pièces et dépendances chacun, 4 jardins égaux en font le tout.

1939

Ce fut la guerre. Il ne restait presque plus d’hommes européens. Monsieur Paulian, depuis 1938 avait laissé virtuellement la direction du domaine à ses fils. Il faut alors reprendre la direction du domaine avec les moyens du bord. Messieurs Paulian et mon grand-père reprennent la direction et font appel à tous les retraités, européens et musulmans, du domaine. On vient en aide aux familles de militaires. Les salaires sont régulièrement payés aux femmes. Dure année agricole, mais le domaine a bien marché ; les récoltes n’ont pas souffert du manque de personnel.

_18 Jules Paulian (1874-1940)

1941

Le personnel revient au domaine ; monsieur Paulian se retire définitivement à Alger. La vie du domaine se resserre autour de la « cheminée ».

Les femmes des prisonniers continuent à toucher le salaire du mari, le travail est plus âpre. Il faut revenir aux animaux de trait, bœufs et chevaux, l’essence, les pièces mécaniques faisant défaut pour les tracteurs.

On emménage l’infirmerie dans un local plus grand et mieux aménagé, avec salle d’attente. On distribue un plus grand nombre de produits pharmaceutiques prescrits par le médecin. Par son régime spécial l’infirmerie est classée d’utilité pour son ancienne création et participe aux distributions des produits de première nécessité.

On commence immédiatement les cultures maraîchères ; choux, choux-fleurs, carottes, navets, pommes de terre, melons, courgettes, qui tout en étant nécessaires au personnel se vendent sur le marché de Boufarik et les halles d’Alger ; sur les parcelles appropriées, terres graveleuses, on plante des haricots, des pois chiches, des lentilles, dont chaque famille a sa part.

On aménage une cuve de la première cave, cuve de 1400 hl, en cases, une pour chaque famille. Cette cuve ouverte une fois par semaine possède une installation au trioxyméthylène afin de pouvoir conserver les légumes secs. Il est alloué de même une même quantité d’orge par famille pour l’élevage de volailles. Le domaine élevant des porcs, offre gratuitement un porc par famille ; poids de chaque porc entre 120 et 130 kg. La répartition de ces porcs est telle, que chaque personne en a de 25 à 30 kg. Un jour de congé est donné aux familles pour tuer le porc. En compensation les familles indigènes reçoivent une plus grande ration de semoule et d’huile.

Pour les saisonniers, il est installé une cuisine où sont servis presque gratuitement les repas.

1941 – 1942

Années de typhus ; on a installé des douches chaudes et des autoclaves de désinfection. Chaque chantier deux fois par semaine, mercredi et samedi, devait passer obligatoirement aux douches et à l’autoclave.

De plus on épépine les marcs de raisins. Ces pépins donnent une huile verte, très grasse. Chaque famille en aura une part qui avec de la soude, augmentera la maigre ration de savon.

1942

Les jeunes repartent de nouveau. Les classes de réserve sont mobilisées sur place. Chacun travaille dur. On écoute au poste de radio des nouvelles. Mon grand-père prend le domaine en charge.

1945

La paix revient. Les militaires rentrent au domaine et ont un mois de congé payé pour se réadapter, les prisonniers en auront trois. Petit à petit la vie agricole reprend ses activités essentielles :

Les grandes cultures, vignes, orangeries, bigaradiers, oliviers, caroubiers, fruitiers, verveine, géranium, luzerne, fourrages verts et secs, céréales.

On remplace les vieilles plantations ; on tient les cultures à un niveau constant de haut rendement.

Le cheptel vif diminue.

La motorisation augmente de saison en saison, et en arrive à un travail mécanique rationnel ainsi réparti :

  • tous les chauffeurs ne travaillent que 6 h par jour.
  • l’équipe d’un tracteur est formée de deux chauffeurs et d’un graisseur.
  • le graisseur fait le plein d’essence et d’huile le matin
  • chaque chauffeur conduit 3 h.
  • après 6 h de travail, 1 h de pause pour graissage et vérification des chenilles ou autre.
  • les chauffeurs font à nouveau 3 h chacun.
  • un mécanicien sur camionnette de dépannage vérifie la bonne marche de 6 ou 7 tracteurs et vient en aide en cas d’urgence.
  • chauffeurs et graisseurs sont responsables de leur matériel.

Le nombre de camions avec remorques augmente. Un camion bâché avec bancs emmène chaque jour une quarantaine d’enfants à Boufarik à l’école. Une camionnette fait le service pour le personnel ayant besoin de se ravitailler et de se déplacer à Boufarik.

1946

Les congés sont portés à 18 ou 25 jours pour le personnel, selon l’ancienneté, le service de sécurité du dimanche, et le nombre de dimanches travaillés.

Mais une difficulté pour ces gens est de trouver un lieu où estiver. Monsieur Paulian accompagné de trois délégués du personnel visite la côte et ses stations estivales, du côté de Castiglione. Après entente avec la mairie de Fouka, il loue un terrain d’un hectare en bordure de la mer sur la partie Est de Fouka Marine, et dès le début juin y installe un village de toile formé de grandes tentes genre hôpital, 10 familles pouvant y loger. La rotation des congés commence le 15 juin ; les camions de la ferme transportent le matériel nécessaire aux familles en congé, et le dimanche véhiculent ceux qui, restés au domaine, désirent passer la journée à la plage ; ils alimentent aussi le camp en légumes, vin, volailles, etc. …

Ces dimanches sont préparés avec joie par le personnel qui forme une grande famille. Ce système de vacances dure deux ans.

Pendant ce temps on cherche quelque chose de plus stable et de plus pratique. C’est ainsi que le domaine trouve à louer pour cinq années les bâtiments d’une ancienne ferme jouxtant le terrain du village de toile, et sise sur une falaise dominant la mer. On y installe 10 familles disposant de 3 à 4 pièces chacune suivant son importance, avec véranda commune de 30 m de long sur 3 m de large, eau, électricité, tout à l’égout, garage pour auto. Ce furent-là de véritables congés payés puisque la ferme prenait à sa charge la location et l’entretien des cabanons.

En outre, pour le personnel préférant la montagne, 2 chalets étaient loués à Chréa. Le transport des estivants et de leur nécessaire s’effectuait dans les mêmes conditions que pour le bord de mer.

Au domaine on essaie de rendre la vie des jeunes plus gaie. On facilite la distraction du personnel en aménageant derrière la salle de réunion, un boulodrome, un terrain de basket-ball, de volley-ball et un terrain de football. La discothèque se garnit. La bibliothèque détient près de 500 livres et la salle de lecture est abonnée à plusieurs revues ; scientifique, géographique etc. …

Ceci s’explique par la visite de monsieur Chiris à la fin de 1946. Monsieur Chiris venu spécialement de Paris, réunit tout le personnel du domaine pour célébrer les 50 ans de travail de mon grand-père à la direction des travaux agricoles. Au cours de la fête il décore mon grand-père du grade d’officier dans l’Ordre du Mérite Agricole. Il félicitera aussi les chefs de maîtrise Martinez, Mora et Grandmottet, nés sur le domaine et ayant 40 et 45 ans de service. A cette occasion il envisage l’amélioration du bien-être de chacun.

Outre les progrès sur le plan des loisirs du personnel, on construit 3 nouvelles villas avec jardin.

Les anciennes habitations européennes de la « Kabylie » près de la tribu, sont agrandies d’une pièce ; cuisine et buanderie ; les jardins attenants sont aussi agrandis et séparés par une barrière opaque. On y loge 20 familles, surtout des kabyles ayant amené leur femme ; chose inhabituelle, car le kabyle immigre seul en général. Ici cela s’explique par le fait que pères et grands-pères de ces familles sont retraités du domaine.

Dans la vie agricole les progrès scientifiques prennent de l’importance pour la lutte contre les insectes et les parasites, tant de la vigne que des orangeries ou des arbres fruitiers. On s’attache à une vinification parfaite.

Les travaux de culture sont à ce moment complètement motorisés ; une vingtaine de tracteurs sont en service.

Le domaine assure le transport des produits de la ferme ; 4 camions et remorques sont en usage : transport de fruits aux halles, de verveine sèche sur les quais d’Alger, des engrais du quai d’Alger, usines d’Alger au domaine. Transport de marc à la Vinicoop de Boufarik, transport de blé et orge aux docks d’Alger. Le domaine faisant partie de la Coopérative des Agrumes, œuvre de monsieur Paulian père continuée par messieurs Paulian fils, la cueillette et le transport des fruits sont assurés par la coopérative.

1954

Mon grand-père se retire définitivement de la vie du domaine, mais y reste installé et suit toutes les activités du domaine par des promenades quotidiennes et des contacts constants avec les personnels européens et indigènes.

Fin 1954 des événements malheureux amènent l’insécurité. Le domaine protégé par les troupes du point de vue agricole, assure lui-même sa défense contre les exacteurs. Pendant les nuits, un service de garde est désigné pour la protection des constructions et habitations. Les musulmans sédentaires participent à cette garde d’autodéfense. Le domaine s’attache de plus en plus à entretenir une liaison étroite entre le personnel européen et musulman.

D’accord avec les sœurs Blanches de Birkadem une fois par semaine, une voiture va chercher un groupe de sœurs qui, dans une salle aménagée, initieront les musulmanes de tous âges, aux travaux de couture, à la puériculture et à l’hygiène. Tous les matins, un médecin de Boufarik donne des consultations et rend visite gratuitement, à domicile.

L’infirmerie tient un registre pour les caisses d’assurances sociales et pour bénéficier des subventions.

Le standard de vie des ouvriers augmente. S’il y a des cuisinières à gaz butane dans les maisons, la cuisinière à bois n’est pas encore détrônée, car il est facile de se procurer du bois à la ferme.

Chaque maison a son frigidaire. Les machines à laver font leurs apparitions.

Les restrictions de circulations, couvre-feu, regroupent les gens. Sainte Marguerite est devenu un véritable village uni. Les jeunes y font du sport et dansent à la salle des fêtes, d’autres jouent aux boules, cartes et autres jeux. Les séances de cinéma continuent. A cause des événements elle a perdu son caractère de boute-en-train de la région. Les feux de la St Jean se sont éteints. On n’organise plus les bals qui réunissaient la jeunesse des alentours.

1956

Depuis longtemps des contacts avaient été pris avec les autorités compétentes pour la création d’une école, les crédits étaient insuffisants. Les discussions à propos du terrain, offert par le domaine, des logements, des instituteurs et des locaux scolaires traînèrent.

Enfin c’est en 1956 qu’une classe fût ouverte. École mixte avec logement dénommée « École de Rhylen Boufarik ». Devant un afflux inespéré d’enfants d’âge scolaire on ouvre peu à peu cinq classes et deux logements supplémentaires. L’école est située sur la route Boufarik, Bouinan, à 150 m de Sainte Marguerite.

Un service de transport va chercher les enfants des tribus et fermes voisines, Souk Ali, Petite Ferme, Rhylen puis les ramène les classes terminées ; ceux de sainte Marguerite et Sidi Mahfoud peuvent venir à pied.

Les instituteurs sont admis dans la grande famille du domaine et profitent comme le personnel des avantages en nature.

Le domaine avec l’aide des instituteurs organise à Noël une petite fête. Devant un arbre de Noël magnifique a lieu une distribution de jouets et un goûter est offert aux enfants et aux parents. Cette petite fête se passe dans le hall de l’usine décoré pour la circonstance.

D’autre part le domaine a pris une assurance vie pour chacun des ouvriers. C’est ainsi que la veuve d’un employé mort en service touche une prime appréciable. La caisse de retraites des cadres et salariés cumule avec la retraite du domaine qui donne toujours une villa, jardin et une pension versée chaque mois.

Le personnel évolue dans un milieu familial plus ou moins aisé. A l’heure actuelle on compte sur le domaine près de 36 autos de propriété privée du personnel, 20 postes de télévision, autant de réfrigérateurs que de familles, de nombreuses machines à laver.

La fraternisation est un fait réel.

Les cultures n’ont guère variées depuis 1938 sauf quelques déplacements pour reconstitution des terres et pour conserver un rendement à-peu-près constant. On reste en moyenne dans la norme suivante :

  • 550 ha de vignes    40 à 50 000 hectolitres
  • 250 ha d’orangers et mandariniers    40 000 quintaux
  • 40 à 50 ha de bigaradiers 100 000 kg de fleurs
  • 50 ha de verveine 60 000 kg de feuilles sèches
  • 100 ha de géranium
  • 200 hectares de caroubiers et oliviers
  • 30 à 40 hectares de fruitiers
  • 250 hectares de céréales
  • eucalyptus

Le cheptel vif est réduit à une trentaine de chevaux de trait, une cinquantaine de bœufs.

En temps normal 450 à 500 ouvriers sont employés au domaine ; en période de grands travaux de 1 000 à 1 300.

Le domaine, œuvre de toutes ces familles européennes et musulmanes qui y vivent encore, a gardé l’esprit de ses débuts. Il arrive de dire non pas « au domaine Sainte Marguerite », mais « chez Gros ».

Et comme tout le monde se connaît ici depuis longtemps, on ne parle pas de Monsieur le Directeur ni de Monsieur Paulian, ni de Monsieur le Sénateur, on dit tout simplement « Monsieur Guy……. Monsieur Gilbert … »

Mais du point de vue agricole et social, il semble vouloir progresser et être un des premiers à appliquer les techniques les idées nouvelles, comme il l’a déjà fait.

Gilbert Paulian (1903-1984) et son épouse Mariette Jacquemin (photo familiale, printemps 1940)

References

References
1 Bou-Farik : une page de l’histoire de la colonisation algérienne, Corneille Trumelet, Source Gallica

4 commentaires sur “Le domaine Sainte-Marguerite à Boufarik”

  1. Retour de ping : Yearbook 2022 perso - Nicopedies

  2. Bonjour, actuellement engagée dans une recherche sur la scolarisation dans l’arrondissement de Blida entre 1944 et 1962, je suis très intéressée par l’école qui s’est développée dans le domaine. Les renseignements fournis sur votre page complètent la documentation identifiée aux archives d’outre-mer. Auriez-vous des photos ou d ‘autres renseignements sur cette école?
    Merci par avance our votre aide.
    Christine Mussard

    1. Nicolas Demassieux

      Bonjour
      Je ne dispose malheureusement pas d’informations d’origine familiale sur l’école de Boufarik mentionnée dans cet article.
      Cordialement
      Nicolas Demassieux

  3. Bonjour, j’ai lu votre document avec intérêt car je suis un des fils de Mme Josette IVORRA (cousine d’Apure Ivorra) cité en début de page. Etant né en France en 1963, je n’ai pas connu ce lieu. Cordialement

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