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Valentine Henches (1880-1952), artiste et graveur sur bois

Enfant, j’ai souvent admiré les gravures sur bois de Valentine Demassieux, une de mes arrière-grande-tantes. Les quelques tirages que nous possédions dans la famille me touchaient par leur poésie brute, et je me plaisais à imaginer le difficile travail de gravure sur bois qu’il avait fallu réaliser pour les créer. Artiste insuffisament célèbre, il n’existe pas à ma connaissance de catalogue illustré de ses œuvres. Aussi, je me suis plu à en rassembler quelques-unes ici.

Sa jeunesse

Valentine Demassieux (assise tout à fait à droite) avec ses frères et soeur et ses parents Louis Nicolas Demassieux et Sarah Clamageran — Constantine 1898

Valentine Demassieux était la 3ème fille de Louis Nicolas Demassieux et de Sarah Clamageran. Elle est née à Toul, où son père, capitaine du Génie, était en poste, et elle passa son enfance au grè des promotions et affectations de son père, en Algérie de 1881 à 1887 (Aumale, Dellys), à Tunis de 1887 à 1890, puis de nouveau en Algérie (Alger, Constantine). Elle avait vingt ans quand sa famille est revenue en France métropolitaine, son père —alors général— étant nommé directeur de l’école d’application de Fontainebleau.

La correspondance conservé par la famille, en particulier les lettres de son frère Jean Demassieux qui ont été conservées, donne de nombreux détails sur une enfance heureuse avec sa sœur Gabrielle, son frère Jean, et les deux jumeaux Louis et Alexandrine. Valentine est douée d’un caractère affirmé. Elle joue du piano, organise un théâtre d’ombres chinoises, se passionne pour la défense de Dreyfus, et passe son brevet supérieur

De retour en France, elle fait une école d’art décoratifs, puis elle se marie en 1904 avec Jules Henches, officier d’artillerie. Le couple a deux filles : Anne née en 1905 à Rouen, et Suzanne, née en 1908 à Versailles. Jules Henches trouvera la mort en 1916, pendant la bataille de la Somme.

Une carrière d’artiste décorateur

Valentine Henches vers 1904

Aprés la mort de son époux, Valentine ouvre un atelier d’impression sur soie au 10 rue Saint Barthélémy à Paris. Elle utilise alors une collection de bois dont certains avaient été acquis auprès de fabriques d’Indiennes (peut-être via la famille Lecler, de lointains cousins de la grand-mère Roberty de Valentine qui, entre 1786 et 1850, ont été pendant trois générations imprimeurs d’indienne à Pont-de-la-Maye, près de Bordeaux [1]Histoire de la manufacture de Jouy et de la toile imprimée en France. Henri Clouzot, 1928.

Dès 1918, Valentine Henches commence à graver elle-même des modèles de papiers imprimés, papiers de reliures, tissus, tentures,… (après sa mort, en 1952, sa collection de bois fut confiée au Musée du tissu à Mulhouse). En 1919, elle obtient un 3ème prix au 11e Concours pour l’attribution des artistes ayant exposé au Salon de la Société des artistes décorateurs[2]L’Œuvre, 20 avril 1919, page 4.

Membre de la Société des Artistes décorateurs de 1921 à 1938, son travail est remarque dans les expositions de 1921[3]Revue moderne des arts et de la vie, 30 avril 1921 et 1926 des papiers peints et mousselines décorées.

Mme Valentine Henches grave elle-même les bois qu’elle utilise pour l’exécution de ses papiers et tissus de tenture. Elle crée elle-même ses motifs décoratifs, dont elle cherche surtout l’inspiration dans la nature, source éternelle et intarissable de toute oeuvre d’art. A l’Exposition du Pavillon de Marsan, ses panneaux de papier étaient décorés de palmes et de tomates, à peine stylisées, et ses panneaux de soie, de pommes sauvages, de grenadiers et de lézards. Il se dégage de ces oeuvres une impression de grand art, à la fois simple et pur, et d’une exécution impeccable au point de vue technique.

Revue moderne des arts et de la vie, 30 avril 1921

Elle fait en 1927 un voyage en Algérie, terre de son enfance, d’où elle rapporte des bois gravés dont l’un fait l’objet d’une présentation de l’artiste [4]La Semaine à Paris, Office de tourisme et des congrès de Paris, 3 février 1928, présentation d’un tel lyrisme que je ne résiste pas à la transcrire ici. Cette présentation est accompagnée de la repoduction d’une de ses œuvres.

1927 – Cyprès à Alger – env. 50cmx70cm – Valentine Henches (1880-1952)

Valentine Henches — Un voyage en Algérie dont sont rapportés quelques bois gravés du plus exprès sentiment local, redonne de l’actualité à cette artiste dont le mérite est précisément de poursuivre une carrière en dehors de toute mode. Mais, ce faisant, Valentine Henches ne se contredit point, car passée paysagiste a loisir, elle continue de satisfaire premièrement sa gouge, son couteau, ses mains si dramatiquement déformées. Il faut s’arrêter aux mains de Valentine Henches. Non pour y forcer la pudeur d’une destinée trop
haute et exemplaire, mais pour se satisfaire de leur intelligence animalement adaptée. Il faut reconnaître les jointures, carrées comme des genoux de paysan travaillant à genoux la terre, et tout ce qui en elles repousse dans la tranchée la charrue volante de la gouge, arrondit dans le beurre dur du cerisier les cambrures du couteau. La couleur de ces mains, de ces armes, est mi-bois, mi-métal. Les mains, bonnes laboureuses, de Valentine Henches épousent le bois d’instinct, l’attaquent d’emblée et sans coup férir.

L’ample indication d’un dessin tracé largement à même la planche ne sert en quelque sorte que de point de repère à Mme Henches et c’est dans la libre exécution que toute l’expression de cette matière grasse et noble — le bois — fleurira. Aussi le résultat est-il moins une exécution qu’une libération. La vie a seulement recommencé de croître dans le bois.

La Semaine à Paris, Office de tourisme et des congrès de Paris, 3 février 1928

Valentine Henches collabore avec Jean Dunand, ce qui lui inspire pour le tirage de ses maquettes l’utilisation d’encres grasses et vernies qu’elle rehausse de traînées d’or.

Prés et fougères – Paravent à décor de laque polychrome sur un fond prune. Valentine Henches et Jean Dunand laqueur
Motif décoratif – bois gravé ayant appartenu à Valentine Henches

En 1928, son travail est présenté dans l’exposition organisée par Henri Clouzot où figurent des papiers de garde à initiales[5]Les reliures d’une certaine qualité comprennent des gardes en couleur, souvent constituée de papier marbré. qu’elle a dessiné, avec des papiers peints signés de Marie Laurencin, Raoul Dufy, Jean Laboureur, Benjamin Rabier, des paravents de Robert Mahias….[6]Le Figaro, 12 septembre 1928, page 2. Ses papiers de garde sont utilisés, en particulier, par la relieuse d’art Germaine Schrœder.

Pour enrichir son atelier, elle achète un lot important des bois gravés anciens qui restaient dans l’ancienne fabrique de toiles imprimées du Pont de la Maye, près de Bordeaux, autrefois exploitée par une branche d’ascendants bordelais, les Lecler, venus avec leur matériel du Doubs en Gironde pendant la Révolution. Cette collection d’une vraie richesse de thèmes convenait aussi bien aux impressions sur tissu qu’à celles sur papier.

Son atelier rencontre de plus en plus de succès et fait l’objet d’un article dans La Liberté du 25 décembre 1932.

Portrait de Valentine Henches, La Liberté du 25 décembre 1932.

C’est tout simplement dans un appartement où pas un centimètre de place n’est perdu que Mme Henches compose et exécute, avec ses ouvrières, des tissus imprimés. Mme Henches était graveur sur bois et quelques belles estampes fixées au mur attestent de son talent sobre et vigoureux. La guerre prit son mari, lui laissa des charges, et désormais, les bois furent reproduits sur étoffes. Les premiers clients étaient des amis ; aujourd’hui, Mme Henches vend dans le monde entier, depuis la Hollande jusqu’à la Californie et l’amérique du Sud… Valentine Henches est très modeste et ne veut pas qu’on parle d’elle. Qu’il nous soit permis cependant de rendre hommage à son talent, son énergie et son optimisme, si aimablement français.

La Liberté du 25 décembre 1932.

Pendant plus de trente ans, Valentine se consacrera à ce travail d’artisan neuf heures par jour, sauf pendant deux mois et demi d’été pendant lesquels elle dessinait et gravait de nouvelles planches, prenant tous ses sujets dans la nature : des feuilles, des fleurs – beaucoup de fleurs rustiques – des insectes ou des lézards, des arbres, les tas de bois des bûcherons, parfois la mer et les coquillages, les traces des mouettes sur le sable, le torrent de la montagne.

Bois de L’arbre du prince – Dernière œuvre de Valentine Henches – 1939

Quelques œuvres de Valentine Henches

Tout en respectant la discrétion qu’elle a souhaité, je partage ici quelques-unes de ses œuvres pour que son travail reçoive la visibilité qu’il mérite. On peut aussi retrouver la collection dans cette album photo.

1918 – deux frontispices pour les Cents frontispices de F.-L. Schmied : à gauche pour les Idylles de la mer de Frank Bullen et à droite pour Kim de Rudyard Kipling – 12cmx18cm – Valentine Henches (1880-1952)
1920 – Le bassin d’Arcachon à marée basse – 20cmx14cm – Valentine Henches (1880-1952)
1921 – Projet de fronstispice pour Francis Jammes – 10cmx15cm – Valentine Henches (1880-1952)
1927 – Alger, Cyprès, Valentine Henches (1880-1952)
1937 – Fort la Latte – 49cmx21cm – Valentine Henches (1880-1952)
1937 – Moisson à Plévénou – 35cmx11cm – Valentine Henches (1880-1952)

Pour cette dernière oeuvre, le point de vue avec le calvaire à gauche et l’église de Plévénou, a été identifié.

1939 Arbre du Prince, Plateau de Sambrès, Valentine Henches (1880-1952)
La famille de Valentine devant L’arbre du prince – 1938

Liste de ses œuvres à la bibliothèque nationale

Source : Inventaire du fonds français après 1800 / Bibliothèque nationale, Département des estampes et de la photographie, 1958

Les œuvres reproduites dans ce billet figurent en gras

  1. Quatre pl., 1918 : Portail au paon; — Paysanne;— Paysage aux sept arbres; — Attelage de boeufs.
  2. Six pl., 1919 : Mouettes; — Vagues à St Jean de Luz; — Sous-bois; -— Village de montagne; — Bateau, pièce ronde; — Poisson, id.
  3. Cinq pl., 1920 : Frontispice pour la collection des 100 Frontispices, tiré en vert; — Frontispice pour Kim de R. Kipling, en gris et or, épr. d’artiste pour Madame Henches;-—Jean-Bart, près d’Alger, pin devant la mer; — AIger, palmier en noir et or; — Marée basse, bassin d’Arcachon.
  4. Quatre projets pour papiers peints, vers 1920 : Les Paons; — Eglantier; — Insectes et serpolet; — Papillons de nuit.
  5. Trois pl., 1921 : Les Corbières (Aude), village de St Sernin; —Id., moulin de St Couatte, en noir et or; — Au retour de la Somme, les croix au lierre.
  6. Trois projets pour papiers peints, vers 1921 : Lézards verts et grenadiers, S. des Artistes décorateurs, 1921 : Pommes sauvages, id.; — Feuilles régulières, id.; — Papillons. Ef 541.
  7. Champ de bataille de la Somme, grande pièce en noir et or, 1921.
  8. Pin (Var), grande pièce en noir et or, 1922 M 4.
  9. Les Mouettes, projet pour papier peint, vers 1922.
  10. Bords du Loir, peupliers, 1923.
  11. Deux projets de papier de reliure vers 1923 : Oranger, deux sujets.
  12. Le Grau du Roi, bateaux au port, deux pl., 1924.
  13. Deux projets pour papiers peints, vers 1925 : Fougères et ronds d’eaux – Millepertuis.
  14. Alger, tirage en noir et or, 1927. Ef 541.
  15. Cyprès, Alger, grande pièce en noir et or, 1927. AA 4.
  16. Quatre projets de papiers peints, vers 1927 : Le Begonia; — La Chasse; — La Maisonnette au hêtre et au sorbier ; — Mer de Chine.
  17. Tossa, Espagne, sept pl., tirages en bistre et or, et sépia et or, 1928 : Oliviers ; — La baie; — Le quai, deux tirages; — La tour, id., — Eglise.
  18. Cinq projets de papiers peints, vers 1928 : Scabieuse et papillons; — Myrtilles; — Ruisseau au clair de lune; — Sous-bois.
  19. Hollande, cinq études de navires, 1930 : Spakenburg, grande et petite pièces; — Volendam, deux pièces.
  20. Fougères et ruisseau, projet de papier peint, vers 1930. Ef 541.
  21. Plateau de Sambrès (Aude), trois grandes pièces en bistre et or, vers 1934 : Pommier; — Arbre du plateau…; —
    L’Arbre du prince. M. 4.
  22. Côtes-du-Nord, deux pl. coul, et or, 1937 : Fort de la LatteMoisson à Plévenou.
  23. Baie d’Audierne, trois pl. en coul., 1940 : Penhors, deux pièces en longueur; — Calvaire. Ef 541.

4 commentaires sur “Valentine Henches (1880-1952), artiste et graveur sur bois”

  1. Merci c’est extraordinaire,

    Je n’ai pas du tout eu le courage de faire toutes ces recherches , mais ce sont plus des anecdotes de vie…
    et j’étais très ennuyée avec les noms et les dates

    Mon travail à plutot été spontané, et j’ai inclu aussi le travail de maman qui a pris le relai en ce qui concerne les papiers de reliure, au décès de sa tante Valent. Elle l’a accompagné rue Barthélémy pendant sa maladie…
    Tante Suzy sa fille était un peu en rivalité avec maman, et je pensais qu’elle avait pu avoir quelques bois de tante Valent, mais finalement j’en ai que 2 gravés par elle..
    les petites maisons du Séba, et le « jeu en bois ».
    Sylvain Daures, le fils ainé de Denis a eu la chance d’heriter de l’arbre du prince, dont j’ai pu tirer quelques exemplaires sur papier!! Mais j’ai un original signé d’elle en 1939.
    L’exposition, outre les livres reliés, les papiers de reliure montrent d’autres bois que maman avait …j’en ai une 50 aine!
    mais en competition de bois gravés main, hors les « tampons » indiens, se trouveles boisd’ une amie d’Alexandrine qui gravait aussi des bois…j’avais toujours crus qu’ils étaient de tante Valent!!!
    Oui c’est bien le grand cyprès que j’ai ,tout abimé, mais je vous envoie ceux que j’ai…ne sachant ni nommer ni dater!!!

  2. Je suis un des fils de Philomène et petit-fils d’Alexandrine Demassieux.
    Jean-Louis Demassieux (votre grand-oncle?) était mon parrain.
    Tombé par surprise sur votre site.
    Quel beau travail sur « Tante Valent »!
    Il y avait chez mes parents le Grand Cyprès, dans un trop mauvais état pour être restauré.
    J’ai hérité d’un magnifique Pin Maritime (60×50) et un Séba de 1937 (20×25) gravé « à l’envers » (les grands sapins sont à gauche de la maison alors qu’ils étaient à droite). J’aimerais vous en faire parvenir une image. Par mail?
    Christian

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