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Guy Maquennehen (1913-1944), ami de la famille et résistant

Enfant, j’ai beaucoup entendu parler, par mon grand-père Jacques Demassieux, de son ami d’enfance, Guy Maquennehen. Guy est mort en 1944, dans le maquis de Crozon. Comme pour beaucoup de héros « anonymes », il n’y a que très peu de traces de sa vie brutalement interrompue pendant la seconde guerre mondiale. J’ai reconstitué autant que possible son parcours afin de redonner un visage a cet homme courageux.

Jeunesse

Guy Maquennehen est le fils d’André Joseph Alfred Maquennehen, né le 22 décembre 1882. Le grand-père, Alfred Fernand Maquennehen (1844-1915) est un propriétaire dans la Somme, dont il sera Vice-Président du Conseil Général (1895) et Sénateur (1899-1900 et 1909-1915).

Après avoir passé près de 5 ans dans l’armée (il servira au sein de l’armée d’Orient), André Maquennehen se marie le 16 avril 1910, à l’âge de 28 ans, avec Renelde Fosse. Il est nommé chef de cabinet du Préfet de la Seine Inférieure (1910), puis Sous-Préfet à Saint Pol (Pas de Calais, 1915). Le père de Guy Maquennehen prend sa retraite en 1927, et obtient une pension complétée par une indemnité pour charge de famille (études justifiée) pour Guy son frère Claude [1]Journal officiel du 13 décembre 1929. André Maquennehen décèdera le 25 mai 1932 à Paris, au 1 Square Roule, à l’âge de 49 ans, des suites d’une longue maladie contractée à l’armée d’Orient.

On sait que Guy et son frère Claude seront alors orphelins, mais nos recherches n’ont pas permis de retrouver ni la date du décès de leur mère, ni les lieux et dates de naissance exacts des deux frères (Guy est né en 1913… car il a 29 ans quand il meurt en 1944).

Guy est un bon élève. En 1926, il est scolarisé au lycèe Pasteur, en 6ème 2, et il y est nommé au tableau d’honneur[2]Le Temps, 27 juillet 1926 – consulter sur Retronews Jean et Jacques Demassieux, aussi nommés, sont alors dans une autre classe (6ème 1). Un photo plus récente (en 1ère ou terminale) montre, dans la même classe, Guy Maquennehen et Jacques Demassieux.

Photo de classe Guy Maquennehen (debout au centre, costume gris) avec son grand ami Jacques Demassieux (dernier rang, 2nd à partir de la gauche) – vers 1931-1932
Guy Maquennehen vers 18 ans (1931-1932)

Après le Lycée, Guy Maquennehen prépare Science Po mais il n’est pas enthousiasmé par les enseignements : une de ses lettres indique « les vieux bonzes ne rajeunissent pas, seul d’Eichthal est toujours frais » en 1936, mais échoue à l’examen de juillet 1936 (il obtient 311 points quand il lui fallait 312 points pour obtenir le diplôme). Il semble qu’il décide de faire alors son service militaire avant de retenter Sciences Po. Le service militaire étant passé en mars 1936 de 1 à 2 ans, il l’aurait effectué entre l’automne 36 et l’automne 38. Un lettre de sa grand-mère nous apprends qu’il a été hospitalisé au Val de Grâce pour une angine en septembre 1937.

Ami de la famille

Lors de leur scolarité, Guy Maquennehen et mon grand-père Jacques Demassieux développent une solide amitié, qui durera jusqu’au décès de Guy. Orphelin Guy a l’occasion de partager la vie de la famille, étant invité aussi bien dans les maisons familiales de Saint-Sulpice-de-Royan, où réside la mère de Jacques, ou encore du Séba, sur le plateau du Sambrès dans la Tarn. Familier des familles Demassieux (Michel, Jacques et Jean-Louis) et Daure (dont, en particulier Denis et Sixtine Daure). Un partie de la correspondance qu’il a entretenue avec cette ribambelle de cousins Demassieux-Daure a été conservée, et a servi de base pour certains éléments de cette biographie.

Courrier de Guy Maquennehen à Jacques Demassieux et Denis Daure – Lisbonne, 2 avril 1934

Pendant ses vacances, Guy voyage : Bretagne, Portugal (avril 1934), Danemark (été 1934), Finlande (été 1935), Écosse (été 1936). Le voyage en Écosse lui donne l’occasion d’envoyer, sur le ton de l’humour, une carte postale où, jouant sur l’homonymie avec son nom de famille, il annonce faire sien… le clan des MacQueens.

Tartan et devise du clan des MacQueens

Mon cher Jacques,

Je t’envoie les couleurs et les armes de mon clan (ou du moins ce que je crois être mon clan). La devise (Constant and Faithful) est modeste mais elle me satisfait. Quant aux armes, l’hermine bretonne les remplit suffisament pour me plaire.

Carte de Guy Maquennehen à Jacques Demassieux, 30 juillet 1935

Plus prosaïquement que l’hypothèse d’une descendance avec un lointain émigré écossais, il semble que le patronyme Maquennehen viendrait du germanique Mackhenheim, nom de lieu-dit signifiant « le domaine de Macko »

En 1937, on trouve sa trace : il est l’un des souscripteurs pour la construction du canot de sauvetage Jean-Charcot, canot qui sera mis en service en 1939 à l’ile de Molène[3]Fenêtres sur le passé – 1939 – L’arrivée du canot Jean Charcot à Molène. Le Jean Charcot emmènera dans une traversée épique de nuit vers les iles Scilly, 23 marins de Molène le 19 juin 1940, répondant à l’appel du 18 juin du Général de Gaulle[4]Anciens Cols Bleus et Pompons Rouges – Histoire de Loulou de Molène

Guy Maquenehen peint par Sunyer en 1939

Pendant l’été 1939, qu’il passe en partie au Séba, il rencontre le peintre Joaquim Sunyer (un réfugié de la guerre civile espagnole, qui a été hébergé au Séba). Ce dernier fait un très beau portrait de lui, jouant sur les codes (le navire, le pull bleu) bretons, région où Guy a des attaches. Un courrier familial de cette époque évoque la personnalité de Guy en relation avec ce tableau :

Son exubérance dans la vie courante, ses grands éclats de rire, c’est ce qui vient d’abord à la mémoire quand on le revoit. Mais cette expression grave et attentive nous rappelle qu’il aimait relire les meilleurs écrivains, qu’il savait élever sa pensée, qu’il était très attaché à sa foi religieuse. Et maintenant, cette expression paraît comme une prévision de son destin et aussi parce qu’il semble vous suivre des yeux, comme s’il savait que son souvenir vit parmi vous.

Lettre de Suzanne Henches à Christiane Daure, 7 mars 1991

…Guy Maquennehen, solide, exubérant, aimant la vie avec force.

Souvenirs d’Alexis Daure, 1999

Guy Maquennehen vers 25 ans (1938-1940)

La guerre

Lors de la déclaration de guerre, Guy Maquennehen est mobilisé comme caporal-chef au 24ème Régiment d’Infanterie. Il est affecté sur la digue Rhin, où il passe beaucoup de temps à poser des barbelés.

La guerre se joue, ici comme ailleurs, sur un rythme ultra-lent, …. Nous avons confiance dans le résultat et nous sommes résolus, c’est là l’important, à l’attendre patiemment…. Je travaille à longueur de journées à barbeler par ci, par là. De la nuit à la nuit, je suis dans les champs et dans la paille du jour au jour. Quand nous rentrons, le soir, nous sommes si lourds que nous nous étalons sans rien faire, lire, ni écrire.

Lettre de Guy Maquennehen à Yvette Demassieux, 18 décembre 1939

La nouvelle, en novembre 1939, de la tentative d’envahissement de la Finlande par la Russie (la guerre d’hiver) le révolte :

Vous devez penser à quel point je souffre actuellement avec ma chère Finlande. Je ne comprends point qu’on traite différemment des criminels semblables et complices, et qu’on entretienne ebncore des relations presques amicales avec un peuple qu’il faudrait écraser en même temps que l’Allemagne. Nous n’avons jamais réuni si répugnants ennemis.

Lettre de Guy Maquennehen à Yvette Demassieux, 18 décembre 1939

Début 1940, alors qu’il règne sur les bords du Rhin un froid glacial (-18°C), il ne croît pas à la possibilité d’une offensive allemande.

Nous sommes patients et le moral n’est pas mauvais, mais aucun de nous ne croit que la vraie guerre puisse avoir lieu en ces paysages bétonnés. Alors nous attendons qu’on se décide à partir à la guerre et aller quérir la victoire en quelque Caucase ou quelques Carpathes.

Lettre de Guy Maquennehen à Yvette Demassieux, 16 février 1940

Il n’est désormais plus rien que je ne donnerais

Lettre de Guy Maquennehen, 3 juin 1940

Mais les Allemands lancent le 10 mai 1940, une attaque sur le front de l’Ouest et progressent rapidement vers Paris, qui est pris le 14 juin. Entre le 15 et le 19 juin a lieu la bataille du Rhin : les troupes françaises sont défaites et se replient sur l’intérieur et on peut imaginer que Guy Maquennehen fait partie de ce repli.

Le 22 juin, un engagement a lieu dans le secteur d’Urmatt-Oberhaslach. Le caporal-chef Guy Maquennehen, « gradé dévoué et énergique a été grièvement blessé par balles, le 22 juin 1940, au cours de la défense d’Oberhaslach »[5]Journal officiel, 12 septembre 1941. Soigné, il devra être amputé du bras droit. Il passera une partie de l’été au Séba, pour sa convalescence, d’où il envoie à son ami Jacques (alors résident en Algérie) une carte émouvante postale écrite de la main gauche.

Carte postale envoyée de Mazamet, le 23 août 1940

Démobilisé mi-1942, Guy Maquennehen sera un temps chef de cabinet de Paul Creyssel (nommé par Pierre Laval directeur des services de la propagande du régime de Vichy, entre mars 1942 et janvier 1944)[6]Paul Creyssel: The ‘Forgotten’ Voice of Vichy et fera partie des 2626 français décorés de l’ordre de la Francisque[7]Henri Coston : L’ordre de la Francisque. La correspondance privée échangée entre Guy Maquennehen et son ami Jacques montre clairement les raisons de son soutien à ce gouvernement, son sentiment patriotique et son rejet de l’occupation allemande.

Il y avait, au sortir de l’hôpital, deux solutions : partir en Angleterre ou soutenir Pétain. La première m’a séduit d’abord, mais quand j’ai constaté que ce n’était pas notre seule génération mais toutes les classes et les âges de la nation qui avaient failli dans la guerre, je me suis dit que la victoire qui en suivrait toute crue à notre peuple serait un poison plus redoutable que n’importe quelle défaite et qu’il importait moins de conserver des territoires que de changer l’esprit public. J’ai eu peur aussi de me séparer du sol de France, sachant bien où la sécession commencerait, mais ignorant où et à quoi elle pourrait m’entraîner. Je n’ai pas voulu surtout que ceux qui ont été si longtemps mes camarades ou mes hommes soient séparés si totalement de moi que je ne puisse plus rien savoir d’eux ni leur venir en aide. Alors j’ai soutenu Pétain. L’adhésion du cœur n’y était guère, elle y est maintenant. Je crois sincèrement que nous n’avons sacrifié ni notre honneur ni nos chances, mais seulement notre vanité. Je crois que tout ce qui n’a pas été perdu entre Meuse et Loire subsiste et est consolidé, et que, quel que soit le vainqueur futur, ceux qui nous ont gouvernés ont mis de côté le maximum de garanties d’existence pour la France. Ils n’y ont malheureusement pas été aidés par un peuple envers qui ils ont montré trop d’indulgence. Ils n’auraient jamais dû essayer de compenser les atteintes à la vanité collective par les satisfactions données aux vanités individuelles. Ils ont aidé les Français à se cacher à eux-mêmes leurs défaillances, s’étant par là ôté des droits à exiger d’eux les sacrifices nécessaires, et tous les échecs du gouvernement viennent de là.

Quand aux joies, … j’attends celles des libérations de mes camarades, celle de la rentrée de Pétain à Paris après le départ des Boches. …. toutes les autres son gâtée par cette insupportable présence d’un vainqueur qui m’irrite encore moins par elle-même que parce qu’elle est une occasion pour la platitude de tant de Français de se montrer.

Lettre de Guy Maquennehen à Jacques Demassieux, 27 août 1942

Pendant cette période, entre 1942 et 1944, Guy réside principalement à Paris (1, square du Roule, l’appartement qu’occupait son père). Il fréquente souvent Yvette Demassieux, la mère de Jacques qui habite rue Barthélémy. L’été, il continue de fréquenter la famille au Séba.

Guy Maquennehen et Sixtine Daure, Le Séba, août 1941

Mort au combat en Bretagne

Quelle activité a-t-il eue entre 1942 et 1944? Je n’ai pas retrouvé de courriers familiaux pour nous renseigner sur ce point, sauf un bref message à son ami Jacques, daté du 8 juin 1944, qui a transité par la croix rouge. « Tous bien partout. Espérons que isolement de chacun ne durera pas trop. Impatient de voir les enfants. Bien Affectueusement »

La nouvelle tombe dans la famille en fin septembre 1944… l’ami Guy Maquennehen a été tué en Bretagne, lors d’une opération de la résistance. Un de ses amis reçoit une lettre témoignage datée du 7 septembre 1944, qui retrace ses derniers jours. Elle a été rédigée par Mr Alain Henaff, de Plozevet. Guy Maquennehen quitte Paris le 9 juin pour se rendre en Bretagne. Il est à Plomodiern le 24 Juin avec 5 camarades. 15 jours après (vers le 8 ou 9 juillet) il est arrêté au cours d’une rafle et emprisonné à Brest. Il est relâché au bout d’une vingtaine de jours (vers le 29 juillet). Il retourne alors à Plomodiern, puis à Pleyben. Le dimanche 26 août, il participe au Pardon de Saint-Anne-La-Palud. Il y retrouve ses camarades de la résistance de Plomodiern.

La résistance est alors en plein dans la bataille du Menez Hom[8]Journal de Marche du Commandement des F.F.I., bulletin d’information municipale de Crozon, 1984. Alors que les américains se concentre sur l’assaut de Brest, qu’ils bombardent, les allemands ont regroupé 12000 hommes dans la presqu’ile de Crozon, utilisant les défenses qu’ils ont établies sur les hauteurs du Menez-Hom comme un verrou protégeant leurs positions sur la presqu’ile. Les F.F.I. de plus en plus organisés et disposent de la première batterie d’artillerie mise en place par le capitaine Espern, avec des canons de divers calibres pris aux Allemands qui entre en action le 19 août et pilonne sans relâche les hauteurs tenues par les allemands. Les F.F.I., appuyés par la cavalerie motorisée américaine, lancent avec 10 bataillons une attaque générale le 27 août . [9]Les combats du Menez-Hom, Chemin de la Résistance et des Maquis, 9 mars 2021. Le 1er septembre est une date clef : le Menez-Hom tombe et le drapeau français flotte à son sommet. Les allemands se replient vers l’ouest de la Presqu’ile et commencent à l’évacuer par mer pour renforcer les défenses de Brest. A 15 heures, la 1ère compagnie des F.F.I. rentre à Saint-Nic[10]Journal de Marche de la 1ère compagnie des F.F.I. de Quimper, bulletin d’information municipale de Crozon, 1984, page 30; à 18h, la 7ème compagnie entre à Telgruc [11]Passeurs de partrimoine de Plogonnec, les combats de Telgruc.

La lettre de Alain Henaff donne quelques précisions sur ce qu’a fait Guy Maquennehen pendant ces journées : « Avec le tempérament que nous lui connaissions, le reste était fatal. Il est rentré le premier à Saint-Nic, le premier à Telgruc ». Il se dirige, avec son groupe de reconnaissance vers une ferme au-delà de Telgruc où il y avait soi-disant 2 Allemands, en fait il y en avait 50. Le témoignage indique « il est pris et tué à bout portant d’une balle à la nuque et de 2 autres au cœur. L’un de ses compagnons mutilé de guerre comme lui a été blessé mais a pu prévenir leurs camarades qui se sont retirés. »

Dans quel cadre opérait Guy Maquennehen? Etait-il associé à la 1ère ou la 7ème compagnie des F.F.I. ou était-il dans un groupe informel? Où se situe la ferme au delà de Telgruc ? Beaucoup de questions restées sans réponses à ce jour.

Son corps ne sera retrouvé qu’au bout de 2 jours et il est enterré à Plomodiern le 4 septembre 1944.

Lettre de Alain Henaff, camarade d’arme de Guy Maquennehen

Une messe est donnée pour lui le 29 septembre 1944, en la chapelle Espagnole du 23 rue de Friedland.

Le Figaro, 27 septembre 1944

Étrangement, alors qu’il semble — selon le témoignage d’Alain Hénaff — être effectivement mort pour la France, son nom n’apparait ni comme victime civile ni comme victime militaire de la seconde guerre mondiale sur le site Mémoire des hommes[12]Mémoire des hommes. Sans doute, mort sans famille proche ni descendants, personne n’a fait, à ce jour, effectué les démarches pour préserver sa mémoire.

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